Paris – Musée Guimet
Cette exposition de l’été du musée des Arts Asiatiques-Guimet, donnée dans le cadre de sa saison japonaise, malgré le titre accrocheur « Génie de la cuisine japonaise » passablement ridicule, s’est révélée fort passionnante pour les amateurs de l’art de vivre et des céramiques au Japon
Kitaôji Rosanjin (1883-1959) considéré comme le fondateur d’une esthétique des arts de la table au Japon, connut une existence singulière dans une période assez chaotique de l’histoire de ce pays
Son éclectisme dans les arts de la table lui ménagera pourtant, à cause surtout d’un caractère ombrageux, bien des contestations virulentes à son époque et bien des désillusions
Encore jeune, il se prit de passion pour les porcelaines chinoises anciennes qu’il proposait dans son magasin d’antiquités à Tôkyô dans les premières décennies du XXe siècle
Sa précieuse collection lui servait à présenter les mets qu’il concoctait comme cuisinier pour une clientèle triée sur le volet abonnée à son « Club des gourmets »
Puis il ouvrit un restaurant du nom de Hoshigaoka Saryô, la colline aux étoiles, fréquenté par l’intelligentsia fortunée de l’époque, et sa cuisine devint une référence en matière de culture gastronomique à Tôkyô dans la première moitié du siècle
A la recherche d’une esthétique culinaire en adéquation avec les contenants pour présenter des mets raffinés, il recréa un atelier de céramique à Kita Kamakura, proche de Tôkyô, où travaillèrent des potiers de renom avant qu’il ne réalise lui-même de la vaisselle pour son établissement
Suite à des déboires financiers, il abandonna, juste avant la guerre, la gestion de son restaurant de luxe où sa susceptibilité lui faisait chasser les clients qu’il n’estimait pas dignes de sa cuisine !
Rosanjin se recentrera sur les activités artistiques qu’il pratiquait depuis longtemps, peinture sur paravents, calligraphie, objets en laque, objets de décoration en céramique entre autres
Il créera des céramiques tout au long de sa vie s’inspirant de styles anciens traditionnels mais en y apportant une touche très personnelle
Son travail artistique, en réaction à la céramique industrielle telle qu’elle était produite après l’adoption massive des techniques occidentales, défend et revalorise la tradition purement japonaise
Quelques grands bols attestent le goût que Rosanjin portait aux céramiques anciennes de Kyôto, en privilégiant des thèmes picturaux stylisés aux émaux de couleurs chatoyantes rehaussées d’application de feuilles d’or du style de décor Kinran-de ou décor à l’or
Rosanjin se plaisait surtout aux décors en grands aplats de couleurs vives dans des compositions asymétriques inspirées par la tradition classique
La stylisation de formes renforcée par une palette de couleurs restreintes offre un décor qui occupe tout l’espace de la pièce avec beaucoup de simplicité
Kitaôji Rosanjin rechercha son inspiration dans les céramiques produites par les fours de l’ancien Japon, comme celui de Seto, près de Nagoya qui perpétue toujours une certaine tradition …
…ou de la production de la province de Mino, voisine de Seto, qui fabriquait des pièces de style Oribe, du nom d’un grand maître de thé Furuta Oribe
Les céramiques de style Oribe d’une grande inventivité de formes privilégient souvent l’asymétrie …
…avec une combinaison subtile des décors peints sous une couverte transparente
Ces décors contrastés étaient d’ailleurs contemporains de la mode des kimonos au XVIIe siècle qui aimait assembler sur un même vêtement des couleurs et des motifs différents…à la manière d’un patchwork !
Les grès de style Oribe se distinguent par une couleur brillante vert foncé, par la simplicité des décors peints sur fond crème
Ce style de céramiques que j’admire tellement sont bien représentatives du génie décoratif japonais…
…pour la simplicité des motifs peints réalisés avec un grand naturel et pour les formes si séduisantes dans leurs variétés
Kitaôji Rosanjin reproduisit également des grès de type Shigaraki, d’aspect brun-rougeâtre se caractérisant par une surface rugueuse dû à la présence dans la pâte de grains blancs de feldspath et de quartz remontés à la surface, ce relief est surnommé poétiquement graines de sésame
… Rosanjin s’inspira de ces jarres, céramiques paysannes frustes destinées à contenir les grains, mais privilégiées autrefois par les maîtres de thé pour transporter et conserver les feuilles de thé, en incisant la surface de lignes gravées et en déformant le col de façon volontaire pour en accentuer l’esthétique accidentelle qui était alors fort recherchée
Les céramiques reçoivent leurs couleurs grâce aux cendres de bois projetées volontairement sur les pièces avant cuisson, mais les couvertes accidentelles étaient et sont toujours les plus prisées !
Les grès de type Bizen jouent sur les effets de matière que donne une argile grossière et pas du tout sur le décor, Rosanjin comme ses devanciers expérimenta les accidents de cuisson et leurs variations afin d’obtenir des pièces au caractère sobre et naturel
Les fours de Bizen étaient spécialisés dans les céramiques destinées au Sadô, cérémonie du thé en produisant nombre de pièces pour contenir l’eau froide à l’imitation des seaux en bois populaires
A une époque où le plastique remplace les matériaux naturels, il est plaisant d’admirer les bols en bois laqué du style des arts décoratifs qui prévalaient à l’ère Momoyama au XVIe siècle dont Kitaôji Rosanjin s’inspira pour compléter sa luxueuse vaisselle
Il est très intéressant de constater que les motifs décoratifs sur la vaisselle japonaise diffèrent beaucoup des décors occidentaux, la nature inspire des motifs de légumes comme des navets sur des bols, des crabes ou des poulpes sur des assiettes à condiments, des canards, des hérons ou des dragons sur des plats de service…
…sans oublier les herbes folles tracées à grands traits sur des coupelles ou encore le soleil et la lune sobrement suggérés sous formes de feuilles d’or et d’argent décorant de précieux bols en bois laqué
Un Sushiya san (cuisinier de sushi) œuvrant de façon virtuelle, au mi-temps de l’exposition, plaçait sous nos yeux des Nigirizushi fort appétissants sur un grand plat tout aussi virtuel de Rosanjin…le décor de la céramique un peu trop chargé ne mettait pas tout à fait en valeur les poissons mais l’expérience nous a beaucoup amusés …et naturellement donné faim !
Une suite de cet article est prévue pour admirer les céramiques de Rosanjin destinées à la cérémonie du thé pour laquelle prévalut un esthétisme simple et naturel
Splendide. J’attends la suite avec impatience.
Bonne soirée.
Merci Catherine de me suivre aussi fidèlement, je travaille sur la suite de l’article maintenant !A lire dans quelques jours…
Vous suivre dans vos visites et apprendre grâce à vous dans des domaines jusqu’alors fermés est un plaisir toujours renouvelé.Le musée Guimet, une chambre aux trésors !
Dans un domaine connexe, mais sur un ton bien différent, on peut consulter aussi le blog jlggbblog3, qui contient des images et réflexions sur le Japon vu par un intellectuel français.C’est parfois un peu austère mais il y a de belles photos !
Oui, en effet, Françoise, de belles photos…Genre de blog qui m’intéresse au premier abord, dont je consulte plusieurs articles avec gourmandise (ceux sur la céramique japonaise entre autres) et puis qui finit vite par me lasser par son ton de l’intello-qui s’écoute écrire !
Je suis consciente que l’on peut avoir la même sévérité pour mes petits articles d’ailleurs et de les trouver banals, légers et insipides !!! Un blog de « bonne femme, quoi ! » comme me l’a écrit si courtoisement un type qui n’aimait pas ma prose mais qui trouvait mes photos suffisamment à son goût pour me les emprunter sans plus de façons !
En tout cas, chère Françoise, j’apprécie hautement les échanges que je peux avoir avec les personnes qui me lisent, les commentaires judicieux sont très réconfortants
Ni banals, ni légers, ni insipides, mais au contraire sérieux, documentés et personnels,voilà ce que je pense de vos articles.Quant à ceux que je vous ai signalés, je les trouve intéressants souvent, suscitant la réflexion, mais le ton universitaire me fatigue autant que vous . »Intellectuel qui s’écoute écrire »: j’ai bien ri ! La formule est cruelle mais pas sans justesse.
A bientôt pour d’autres échanges.
Amitiés de Françoise
Merci Françoise, j’adore correspondre avec des personnes de bon sens !