Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon – I – La couleur

Maison de la Culture du Japon – I – La couleur

autre articles : I | II | III

Cette exposition, consacrée à deux artistes japonaises expertes dans l’art du tissage en soies teintes avec des colorants végétaux, était absolument fascinante

150107_258j Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon

L’affiche de l’exposition sacrifie aux couleurs de l’indigo !

Shimura Fukumi, détentrice d’un « Bien culturel immatériel important » fut nommée Ningen Kokuhô (Trésor national vivant) en 1990 pour sa parfaite maitrise du Tsumugi ori, tissage de kimono Tsumugi

Elle a consacré toute sa vie, maintenant accompagnée dans son travail par sa fille Yôko, à parfaire l’art du tissage manuel, le haussant à une perfection digne des meilleurs artisans-artistes du Japon

150107_246 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

L’art du tissage de Shimura Fukumi monté en Kakemono – Détail

Dans les années d’après guerre, la jeune Fukumi, poussée par le désir irrépressible de se consacrer au tissage abandonna mari et enfants pour se retirer dans un petit atelier près de Kyôto afin d’explorer toutes les possibilités de cette technique et créer depuis plus de 50 ans des kimonos devenus des œuvres d’art à part entière

150107_230 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Shimura Fukumi dans les années 1950 au moment où elle se consacre exclusivement au tissage en apprentissage aux côtés de sa mère, elle-même tisserande dans l’esprit du mouvement Mingei

Les soies utilisées par les deux tisserandes sont en majorité des schappes, ces fils de soie provenant de cocons percés ou tachés qui donnent une fibre plus grossière que le fil habituel de soie grège

150107_157 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Tissage Tsumugi – Fils de soie irréguliers teints en indigo – Détail d’un kimono

Les kimonos Tsumugi sont des pongé de soie; tissés avec ces fils irréguliers, leur aspect mat s’apparente davantage au coton qu’aux textiles soyeux

A l’époque Edo, cette apparence permettait à la classe des négociants et des artisans enrichis de se vêtir quand même de soie, détournant ainsi les lois somptuaires du gouvernement shogunal qui réservait le port de vêtements luxueux aux seules classes dirigeantes du pays

150107_021 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Tsumugi ito – Fils de soie provenant de cocons abimés ou tachés
En haut :  Mawata – Fil cardé et peigné utilisé comme fil de trame principalement
Au milieu : Tama ito ou Fushi ito, fil irrégulier utilisé comme fil de chaine ou de trame
En bas : Suzushi , fil de soie brut issu directement du cocon, avant le décreusage

La Nature, sous l’égide de laquelle Shimura Fukumi a placé toute sa vie d’artiste, l’a amenée à explorer les diverse possibilités qu’offrent les plantes pour la teinture, perpétuant ainsi une tradition esthétique de la couleur propre au Japon

« Autrefois, je pensais que 10 ans consacrés aux couleurs était nécessaire, maintenant, je sais qu’il faut une vie » dit Shimura Fukumi

150107_029 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Navettes qui devront passer 40 000 fois des fils de trame en gardant un rythme soutenu pour obtenir une longueur de 13 mètres 20 d’étoffe nécessaire à la confection d’un kimono

 Shimura Fukumi n’a de cesse d’enseigner à ses élèves qu’il est impossible d’extraire des plantes et des fleurs même les plus colorées des teinture équivalentes à ce que l’œil perçoit

150107_025 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Akane – Roses et rouges profonds obtenus avec les racines de garance

Une grande expérience est nécessaire afin d’obtenir d’une nature pourtant généreuse, des colorants issus de divers végétaux, qui resteront de toute façon toujours aléatoires

 150107_023 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétale

Benibana – Roses et orangés obtenus avec les fleurs séchées du Carthame des teinturiers

Selon la saison, l’heure du jour et même l’état d’esprit de la cueilleuse, le fait que les colorants extraits des plantes récoltées soient toujours différents, l’amène à considérer avec philosophie le mystère de la vie en perpétuel changement …mais la place de l’homme qui n’a de cesse d’asservir la nature, l’accable de tristesse

150107_027 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Murasaki – Violets obtenus avec la racine du Grémil des teinturiers

De nombreuses plantes tinctoriales sont utilisées dans l’atelier de Mme Shimura, l’exposition en déclinait quelques exemples…pour le plaisir des yeux !

150107_019 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Tamanegi – Jaunes d’or et bruns obtenus avec les pelures d’oignons

Shimura Fukumi a une préférence marquée pour la teinture à l’indigo à qui elle prête une vie propre puisqu’il faut « nourrir » la cuve d’indigo (au Japon avec du saké !) là aussi son expérience de la teinture lui permet d’obtenir des variations de couleurs qui viendront enrichir ses subtiles combinaisons de rayures dégradées pendant le tissage

150107_017 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Sukumo – Bleus obtenus avec les feuilles fermentées d’indigo

Pour faciliter l’absorption des couleurs par les fils de soie, il est nécessaire de procéder au mordançage avec des minéraux principalement, ressources précieuses offertes aussi par la nature

150107_252 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Hypnotique jeu sur la couleur des flottes (écheveaux) teintes

Les mordants peuvent être des minéraux comme le fer, le cuivre, la chaux ou végétaux, certains sucs tirés de plantes ainsi que des cendres de bois, chaque mordançage active le processus de coloration et donne des teintes qui, en raison des aléas propres au milieu naturel, ne peuvent être semblables à chaque fois

150107_045 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Le mordançage n’est pas nécessaire avec l’indigo ce qui en fait une exception dans le monde des teintures

« Dans mon processus de création, c’est à travers la couleur que s’expriment […] ma pensée ou le dessin que je crée » – Shimura Fukumi

150107_050 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Kasane irome – Superpositions de couleurs
Byobu, paravent recouvert de feuilles dorées de Washi , orné de chutes de soies
Superpositions de soies de Juban, kimonos de dessous, en de subtils dégradés de teintes

« J’ignore s’il existe quelque part un lieu où les couleurs peuvent être simplement couleurs sans le support du tissage ou autre… »

Cette réflexion de Mme Shimura fait écho à celle de Goethe, auteur d’un célèbre traité sur les couleurs, qui posait cette question :  » Est-ce qu’une rose rouge cesse d’être rouge quand on ne la regarde pas ? « 

150107_007 Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon - 1ère partie - Les teintures végétales

Détail du paravent – Couleurs classiques généralement utilisées pour les Juban

La suite de l’article sera consacré aux splendides kimonos tissés par Shimura Fukumi et sa fille Yôko

————————
Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon :
1ère partie – La couleur
2ème partie – Les kimonos Tsumugi
3ème partie et fin !

16 réflexions sur « Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon – I – La couleur »

  1. Bonjour
    Je voudrai d’abord vous remercier pour tous les articles de de votre blog qui apportent à chaque parution un moment hors du temps plein de poésie, me font découvrir un pays fascinant et un peu mystérieux. Étant moi même quilteuse j’apprécie les explications concernant votre démarche et cela m’a permis de progresser et clarifier mes buts dans l’art du patchwork .
    Je rêve depuis longtemps de découvrir le Japon. Arrivant au moment de la retraite de l’enseignement , je pense effectuer un voyage au Japon avec l’organisme Arts et Vie. Les dates propsées se situent en avril, mai , octobre et novembre. Pour une première découverte avec mon mari que me conseillez-vous?
    Les circuits proposés sont visibles sur le site de l’organisme.
    Je vous remercie infiniment de l’attention de vous apporterez à ma demande et vous renouvelle mes félicitations pour votre.blog.
    Cordialement
    Genevieve Tranchard

    • Merci Geneviève de votre courtoisie à exprimer votre ressenti à la lecture de mes articles
      J’y met beaucoup de moi même et il est bien agréable de constater que je peux ainsi faire partager mes coups de cœur et mon expérience
      Pour le Japon,je pense que la formule « Au pays du soleil levant » est une bonne approche, la tranche Octobre-novembre est à mon sens préférable car l’automne y est absolument fascinant, les températures encore douces et les pluies y sont rares
      J’espère que vous me donnerez vos impressions au retour !

  2. Quelle beauté ! Merci de nous faire visiter cette exposition où je n’ai pu me rendre à mon dernier passage à Paris, à mon grand regret. Me voici consolée.
    Bien sûr, j’attends la suite !
    Amitiés.

    • Françoise, j’ai vu cette exposition où les photos étaient interdites, une première fois, puis j’y suis retournée juste avant la fin et là les clichés étaient permis !
      J’ai pensé alors à toutes les personnes qui me suivent si fidèlement et j’ai pris beaucoup de détails des kimonos pour mieux faire saisir leur beauté !

  3. quelle joie de voir cette exposition , en province on a parfois du mal a voir toutes les expos qui plaisent a Paris !
    merci beaucoup
    biz isa

    • Habiter près de Paris a de sérieux avantages quand, comme moi, on aime les musées et les expositions d’art…mais je pense à vous en publiant mes articles !
      Je suis contente de voir que vous les appréciez, merci, Isa

  4. Bonjour et un grand merci pour un autre article très intéressant et instructif!
    Je suis toujours très impressionnée quand je lis qu’une personne a été nommée « Trésor national vivant »!
    C’est un régal pour les yeux de regarder ces belles photographies!
    L’indigo me rappelle un très beau roman que j’ai lu : « Pastel » par Olivier Bleys.
    Je me réjouis de lire la suite de votre article!

    • Merci Hélène pour vos propos si encourageants pour la suite de mes articles !
      Shimura Fukumi, comme d’autres artisans-tisserands d’ailleurs, ont été distingués pour leur savoir-faire, car ils perpétuent et sauvegardent des traditions profondément ancrées dans la culture japonaise
      Mais c’est surtout l’esprit, je dirais même la spiritualité, avec laquelle ils œuvrent qui les rendent exceptionnels; en plus ces artisans habités par une passion dévorante sont en général des personnes modestes et charmantes !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.