Exposition – « Autres maîtres de l’Inde »

Paris – Musée du Quai Branly – 2010

Les Adivasi ou « premiers habitants » sont des peuples minoritaires, sociétés dites tribales de l’Inde rurale, forte aujourd’hui, de plus de soixante millions de personnes, réparties sur l’ensemble du territoire

Les Adivasi vivent toujours de manière traditionnelle et isolée à la marge de la communauté majoritaire hindoue, tout en entretenant des contacts avec celle-ci

Mais en raison de critères dits archaïques, absence d’écriture, différence de langage, règles de vie différente, ils se trouvent exclus du système des castes, méprisés et souvent victimes d’actes de violence de la part de la population à dominante hindoue

Le musée des Arts Premiers au milieu de son jardin d’herbes folles – Oeuvre de l’architecte Jean Nouvel

L’art populaire contemporain des Adivasi produit des œuvres artistiques étonnantes, tant utilitaires que sacrées, bien différentes des modèles connus de l’art indien

Ces communautés tribales et paysannes fortement attachées à leurs traditions séculaires et à leurs croyances religieuses assument l’arrivée de la modernité dans leur culture orale et visuelle…

Ralshasha – Démon – Bois de jaquier – fin XIXe siècle

…Qui tend à transformer leurs subtils objets culturels, considérés auparavant comme des objets ethnographiques, en œuvres d’art

Les Occidentaux experts à classifier ces objets de culte considèrent que, s’ils sont sans fonction au sein de la communauté, ils deviennent alors des ouvrages dignes d’entrer dans le monde de l’art

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Hayavadana et Vrasha Sesha – Démon à tête de taureau – Bois de jaquier – Fin XIXème siècle

Ces statues en bois de jaquier viennent de Kannara, dans le sud de l’état de Karnataka, au sud-ouest de l’Inde

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Dwimukesha – Démon à 2 têtes – Fin XIXe siècle et Shennamma – Gardienne de Shiva – Début XXe siècle

Le culte des Bhuta, les esprits des ancêtres, des parents et même des animaux disparus y est très répandu

S’ils sont offensés, ces esprits, habituellement bienveillants et protecteurs, peuvent exercer une influence malfaisante. Pour jouir d’une bonne santé et disposer sereinement de ses biens, mais aussi pour éviter les préjudices causés par le courroux de ces esprits, il faut vouer un culte à leurs images.

Lemming – Cuivre – début XXe siècle

Généralement ces formes anthropomorphes et animales plus grandes que nature sont placées dans des sanctuaires, des maisons ou des champs, à la périphérie des villes…

Butha d’animaux – Bois, cuivre – début XXe siècle

A cause des influences réciproques entre l’hindouisme régional et le culte local des Bhuta plusieurs d’entre eux ont été identifiés à des divinités hindoues

Selon la légende, les Bhuta étaient à l’origine les gardiens du dieu hindou Shiva

Masque rituel en cuivre – XXe siècle

En de nombreux endroits, ce sont les castes hindoues d’artisans qui réalisent les images cultuelles et les figures votives, et font que leurs objets répondent parfaitement aux besoins de leurs clients tribaux.

Masque rituel en cuivre – XXe siècle

Pour se protéger des calamités et assurer la prospérité, pendant le sacrifice aux Butha, un intercesseur porte le masque de la divinité afin de communiquer avec elle et apporter ainsi des solutions rituelles aux problèmes de la communauté

Masque rituel en cuivre – XXe siècle

A Manipur, dans le nord-est de l’Inde, on vouait un culte à une divinité souterraine représentée sous la forme d’un serpent python à tête de cerf avec des épines dorsales, d’un aspect féroce

Pour apaiser cet esprit malveillant, on lui faisait des sacrifices jusqu’à ce qu’un saint local parvienne à l’éliminer

Sa mémoire subsiste pourtant dans les danses actuelles et chez les artistes contemporains

Karam Dineshwar Singh – Paphal le python de 6m.de long – Bois – 2002

Dans la culture Santhal, un palanquin transporte, le soir des noces…

Palanquin de mariage – Bois et tissu – fin XIXe siècle –

…à un moment particulier qui s’appelle « Goddhuli » ou la poussière levée par le retour des vaches, la nouvelle épousée de sa famille d’origine à celle du foyer conjugal

Palanquin de mariage – Bois et tissu – Détail

Dans les villages, la nuit tombée, un conteur relate l’histoire du dieu Pabuji, qui par son héroïsme est le vainqueur des forces maléfiques

Le conteur déroule peu à peu les peintures pouvant atteindre jusqu’à 7 m de long, disposées sur de longs rouleaux tout en narrant l’histoire, épisodes par épisodes, nuit après nuit

Les villageois ce faisant, invoquent le dieu pour lui réclamer sa protection, chasser la mauvaise fortune ou les maladies

Srilal Joshi – Histoire du dieu Pabuji – Peinture sur toile – 2009

Les tribus Rathava habitent dans les montagnes et les forêts au Gujarat, dans l’ouest de l’Inde

Le dieu qu’ils vénèrent, Pithoro, joue un rôle capital dans le mythe de la Création

Paresh Rathwa – Peinture murale rituelle – Peinture sur toile – 2009

Les hommes de la communauté réalisent des peintures colorées retraçant sa légende sur le mur central des maisons

Pour l’exposition, la peinture a été exceptionnellement réalisée sur toile

Paresh Rathwa – Peinture murale rituelle – Peinture sur toile – 2009 – Détail

Les gigantesques figures équestres en terre cuite (jusqu’à 3 m de haut) dédiées à Ayyanar, le dieu puissant qui, selon les croyances de la population du Tamil Nadu, au sud de l’Inde, protège les villages des esprits malfaisants

Les sanctuaires à ciel ouvert qui lui sont consacrés se trouvent souvent près d’étangs, à la limite des villages, et même sur les grandes routes

Des images d’Ayyanar, sont placées au centre du sanctuaire, entourées de chevaux, d’éléphants, de bœufs, de vaches, de chiens et de statues de gardes et de guerriers.

Figures votives en terre cuite

Ces figures votives sont offertes par les fidèles en remerciement de la protection d’Ayyanar qui mène sa chasse nocturne contre les esprits maléfiques avec son cortège de chevaux et de guerriers

Ces figures, œuvres de potiers qui sont aussi les prêtres du culte d’Ayyanar sont peintes de couleurs vives après la cuisson

Figures votives en terre cuite

La créativité artistique des tribus Naga, au nord-est de l’Inde, aujourd’hui encore, reste inspirée par leur importante tradition orale et les mythes de leurs origines.

Les Naga, dont l’organisation sociale ignore pratiquement le système des castes, accordent une importance majeure à l’égalité entre hommes, guerriers et protecteurs, et femmes, en charge du foyer et de la nourriture

Cet aspect de leur culture se retrouve dans leurs créations, sculptures guerrières et armures, bijoux et textiles

Jupe drapée d’homme « Naga » – Coton, cauris, poils de chien teints en rouge – XIXe siècle

Une politique d’ouverture, ces dernières années, et l’accès à de nouvelles techniques ont incité des artistes indiens contemporains, oscillant entre héritage et modernité, à passer de la tradition collective à une expression plus individuelle

Jangarh Singh Shyam – Groupe d’oiseaux perchés sur un arbre – 1980-1990

Jangarh Singh Shyam (1962-2001), de la tribu Pardhan Gond du district de Mandla, dans l’État du Madhya Pradesh, au centre de l’Inde, artiste fortement influencé par l’art aborigène d’Australie mais également inspiré des mythes de sa propre culture

Jangarh Singh Shyam – Groupe d’oiseaux perchés sur un arbre – 1980-1990 – Détail

Ces peintures représentent des arbres, des animaux et des divinités de la mythologie Pardhan Gond

Jangarh Singh Shyam – Groupe d’oiseaux perchés sur un arbre – 1980-1990 – Détail

De nos jours, les capitales des États indiens du Madhya Pradesh et du Chhattisgarh regorgent de peintures colorées réalisées par de jeunes artistes gond

Jangarh Singh Shyam – Groupe d’oiseaux perchés sur un arbre – 1980-1990 – Détail

C’est Jangarh Singh Shyam qui, le premier, a exploité cette forme artistique traditionnelle pour s’exprimer sur des évènements personnels

Jangarh Singh Shyam – Cobra et oiseaux imaginaires – 1980-1990

Alors que Jangarh Singh Shyam commençait à se faire une place dans le monde de l’art indien, plusieurs autres jeunes hommes de sa communauté l’ont pris pour modèle et l’ont copié afin de trouver leur propre créativité

C’est ainsi qu’est né ce style collectif que l’on appelle « peinture gond »

Jangarh Singh Shyam – Créatures imaginaires – 1980 1990 – Détail

À Bhopal, Jangarh Singh Shyam découvre l’art moderne indien. Sans tarder, il s’initie à l’aquarelle sur papier, à la peinture sur toile, au dessin et à la gravure

Jangarh Singh Shyam – Arbre et créatures imaginaires – 1980-1990

Bien qu’au contact permanent d’artistes contemporains indiens, il reste imperméable à leur influence artistique

Jangarh Singh Shyam – Cobra et mangouste – 1980-1990

Il préfère peindre les légendes de sa communauté, y intégrant néanmoins les images de son nouvel environnement urbain

Jangarh Singh Shyam – Cobra et mangouste – 1980-1990 – Détail

De son arrivée à Bhopal dans les années 1970 à sa mort en 2001 au Japon, Jangarh Singh Shyam a réalisé une centaine d’oeuvres, devenant un artiste reconnu

Jangarh Singh Shyam – Serpent imaginaire – 1980-1990

A travers ses peintures, ses dessins, l’artiste, pour rendre la vibration de la vie, par la simple juxtaposition de points, trouve à chaque fois un style approprié d’une rare originalité et élégance

Jangarh Singh Shyam – Un paon – 1980-1990

Jangarh Singh Shyam s’est suicidé au Japon, alors qu’il y était invité en résidence culturelle

Le monde de l’art qui exploite les œuvres, souvent sans droit de regard des artistes, ne lui a sûrement pas permis de trouver sa place comme créateur à part entière, lui qui venait d’une culture peu familière des règles des marchands d’art

Jangarh Singh Shyam – Un paon – 1980-1990 – Détail

Les peuples Warli vivent au Maharashtra,dans l’ouest de l’Inde, où traditionnellement les femmes et les enfants peignent en blanc des rondes de petits personnages se tenant par la main ou participant aux activités villageoises
Ces figures humaines sont formées de deux triangles opposés avec une tête ronde et des membres filiformes.

Un visiteur prévoyant peu perturbé par la présentation écrasante du musée !

Jivya Soma Mashe (né vers 1930), d’origine Warli, bénéficia de l’arrivée d’un nouveau support, le papier, pour explorer la peinture narrative

Jivya Soma Mashe – Acrylique et bouse de vache sur toile – 2003 – Détail

Il a développé à partir de l’inspiration ancestrale, une peinture personnelle qu’il diffuse maintenant sur toile à travers le monde

Jivya Soma Mashe – Danseurs autour du musicien – Acrylique et bouse de vache sur toile – 2003 – Détail

Fortement inspiré par la tradition de sa région d’origine, où il continue à vivre avec sa famille, il contribue grandement à révéler la force et les subtilités d’une pensée sociale et religieuse dans ses compositions, et à transmettre ainsi un magnifique et puissant message universel.

Jivya Soma Mashe – l’esprit de la forêt – Gouache, ocre et bouse de vache sur toile – 1981_1982 – Détail

Son exemple rayonne aujourd’hui à travers le monde et son style se reconnaît comme celui d’un maître

Jivya Soma Mashe – L’esprit de la forêt – Gouache, ocre et bouse de vache sur toile – 1981_1982 – Détail

Ces cultures, entre tradition et adaptation obligée aux contraintes contemporaines, tout en gardant une fidélité à des valeurs villageoises et des comportements sacrés ancestraux rendaient cette exposition fort intéressante

La Tour Eiffel depuis la passerelle Debilly

Nous avons visité cette exposition par un beau jour de juillet qui donnait envie de se balader près de la Seine…

Fin d’après-midi sur les Champs Elysées où même les parterres s’étaient mis au diapason !

…Jusqu’aux Champs Élysées…

Du tricolore de circonstance !

…Beau lendemain d’un 14 Juillet 2010 qui, cette année, fut bien arrosé !

Vu depuis les Champs Elysées, le couronnement du Grand Palais

9 réflexions sur « Exposition – « Autres maîtres de l’Inde » »

  1. Il me semble avoir vu ce genre de tissus et de sculptures dans le sud de l’Inde. A Bubaneshvar. Il y a très longtemps.A l’époque je n^étais pas assez * éveillée*.
    J’adore le musée du quai Branly. en plus construit par un architecte que j’aime beaucoup : l’intérieur de l’opéra de Lyon, tout rouge et noir. le complexe culturel de Lucerne, avec son toit en porte à faux. L’intérieur de la salle de concerts, tout blanc, avec des reliefs pour accrocher le son. Au quai Branly, c’était la première fois que j’entendais qu’il était permis de photographier. La joie ! Il y a des habits des Aïnous, les premiers habitants de l’Ile d’Hokkaido,au Japon, que j’apparente aux Indiens USA, par l’amour de la nature, la faculté à en tirer raisonnablement profit. En plus magnifiques vêtements. Il y a les jupes *plissées soleil*, d’une minorité chinoise, amidonnées avec une plante qui rend ce plissé permanent… bien avant les nôtres.
    Il y a, il y a … des instruments de musiques fabuleux… il y a, il y a….

    • Oui, Béatrice, je suis amplement d’accord, le musée du quai Branly est un endroit merveilleux ! Comme je regrette la fermeture, il y a déjà plusieurs années, du Musée des Arts Populaires, avec ses collections « folkloriques » d’art français et européen, il y avait là de magnifiques costumes régionaux entre autres….

  2. Les costumes régionaux réapparaîtront quelque part, une fois, dans un autre musée. je n’ai jamais visité, en son temps, le musée des arts populaires. Je me rappelle du musée de l’homme. Surtout des peintures sur le cuir des vêtements des Indiens USA. Je crois que c’est le musée du Quai Branly qui a pris le relève ?!

    • En effet le musée du Quai Branly a repris les collections du Musée de l’Homme
      Quant au musée des Arts et Traditions Populaires, c’est à Marseille que ses collections seront exposées, dans un nouveau musée, parait-il…
      J’ai entendu , sur une radio, France Inter, le directeur de musée du Quai Branly, proposer aux auditeurs d’aller le visiter, alors que ce musée est fermé depuis des années ! Bravo aux élites parisiennes !!!

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