Paris – Musée Guimet – Textiles en indigo 2013
Le musée des Arts asiatiques Guimet dans le cadre de sa « saison japonaise » de l’automne a choisi d’exposer des textiles, ce qui est suffisamment rare pour ne pas bouder son enthousiasme !
Les Tsutsugaki, depuis le XVIe siècle, étaient confectionnés pour célébrer les grands évènements survenant au cours de la vie, naissances, mariages, fêtes familiales ou villageoises
Les textiles obtenus par la technique de Tsutsugaki étaient destinés aux vêtements de fête, aux dessus de futon de mariage mais aussi aux tenues de pompiers, aux Furoshiki, aux Noren rideaux de porte, étendards et enseignes, harnais pour les chevaux et pièces de décorations pour les chars, etc…
Les motifs qui les décorent, vigoureux et colorés emprunts d’une authentique veine populaire sont chargés de motifs décoratifs de bon augure, longue vie, prospérité, bonheur ou protection

Le motif de « Tsuru » la grue est un des motifs-symboles les plus utilisés
Ces textiles ne suscitèrent pas un grand intérêt des élites enclines à apprécier des motifs plus raffinés, mais le mouvement Mingei, dans les années 1930, qui permit un regain d’intérêt pour les arts populaires, soulignera l’esthétique indéniable de ces pièces
Le chef de file du mouvement Mingei, Yanagi Sôetsu dénommera d’ailleurs ces textiles Tsutsugaki mot forgé avec Tsutsu tube et Gaki dessin
Ces tissus en coton ou en chanvre ayant comme point commun d’être teints à l’indigo sont obtenus avec une technique d’impression qui ne peut se faire qu’à la main

Tsutsu – Tube en papier washi (ici recyclé !) renforcé au jus de kaki en forme de cône pour contenir la colle de riz
L’artisan trace son esquisse sur chaque lés de toile, puis dépose sur chaque partie du dessin à réserver de la colle faite de pâte de riz à l’aide de Tsutsu, cornets de papier renforcé au jus de kaki et laisse ensuite cette préparation sécher au soleil
La toile est ensuite plongée dans un ou plusieurs bains d’indigo selon la couleur du fond désirée, la teinture ne pénétrant pas les parties encollées
Puis les tissus sont lavés pour ôter la colle et les parties réservées reçoivent des couleur vives appliquées à la main à l’aide de pinceaux plus ou moins larges
Les lés de tissu de 33 cm ont ensuite assemblés, les marges des coutures empiètent nécessairement sur la continuité des dessins, mais cela ne nuit aucunement au rendu des scènes dont le tracé plein de vigueur forme un contraste plaisant avec le fond indigo
Les motifs animaux associés les plus emblématiques sont Tsuru-Kame, la grue et la tortue ayant la réputation toutes deux d’avoir une longévité exceptionnelle
Les représentations des grues sont tantôt naturalistes avec des rendus de plumes déclinés dans des teintes douces, imitées des œuvres picturales…

Les grues sensées vivre 1000 ans ! Détail du même futon de mariage – Fin du XIXe – Début du XXe siècle
…tantôt d’un dessin puissant personnifiant de façon plus graphique les Mon ou armoiries des familles
Les tortues mythiques accompagnent toujours les grues comme compagnons de longévité et de stabilité
Ces tortues sont une occasion pour l’artiste de remplir l’espace disponible de la toile avec les sinuosités des longues algues attachées à la carapace de l’animal lui faisant une espèce de traîne fort élégante
L’animal dont la longévité touche à l’immortalité était un symbole tout à fait propice pour souhaiter au commanditaire de la pièce une heureuse vieillesse pleine de sagesse !
Sur les Tanzen ou Yogi, grands kimonos servant de dessus de futon, indispensables dans le trousseau de mariage, les animaux comme les grues reflètent l’admiration ressentie devant l’ascension vers les hauts sommets de ces grands oiseaux
D’autres, quelque peu fantaisistes, étaient chargés de la protection des dormeurs…
…comme les tapirs, représentés à la manière des lions chinois, réputés avaler toutes mauvaises choses et notamment les cauchemars
Nombreux furent les chiens importés d’Occident depuis le XVIe siècle, mais généralement la représentation de chiens imaginaires avait les faveurs des artistes…
.. allusion à leur rôle de gardiens de la maison et de ses possessions
Hô-ô, le phénix, bel oiseau mythique de la mythologie chinoise, symbole de l’immortalité, était tout désigné pour figurer sur les luxueux futon de mariage aux couleurs éclatantes
Le phénix perché sur un paulownia et accompagné des trésors et caractères chinois du bonheur était indispensable pour souhaiter longue vie à la descendance !
Des plantes et des fleurs auxquelles on prêtait des vertus médicinales étaient aussi de bon augure sur un dessus de futon, préserver la santé était bien évidemment fort souhaité
Les chrysanthèmes participent à l’histoire du Kukijidô, jeune page de la mythologie chinoise envoyé en exil dans la montagne et qui écrivit un Sûtra sur des feuilles de chrysanthème…la rosée qui tomba sur les feuilles s’écoulât dans la rivière et le jeune page qui en but l’eau devint immortel !
L’attitude rêveuse du personnage, la rivière dont les flots sinuent au pied des rochers et les chrysanthèmes aux couleurs lumineuses participent au grand charme de ce Tsutsugaki
Sotestu, un grand arbre du sud du Japon, dont les grandes palmes exubérantes représentées comme des plumes, évoquaient la fécondité d’un arbre de vie
La vitalité et le foisonnement des palmes sont ici admirablement rendus avec seulement du blanc et quelques touches de rouge sur le fond indigo
Des représentations symboliques illustrant des proverbes ou des dictons étaient aussi très courantes comme le début de l’expression si connue des Japonais « Ichi Fuji ni taka san nasubi » : voir en songe premièrement le Fuji san puis un faucon et enfin des aubergines …
…Allusion aux souhaits du premier rêve de la nouvelle année !
Rêver du Fuji san, plus haut et plus digne symbole du Japon, rêver au faucon personnifiant l’élévation et enfin rêver d’aubergines « Nasu » jeu de mot sur « Nasubi » : devenir …était une promesse de bonne fortune pour l’année !
Pour renforcer encore la chance, on n’a pas hésité à ajouter sur ce dessus de futon le trio propice au bonheur Sho chiku Bai, le pin, le bambou et le prunier décliné à l’envie sur tous supports !
La veine populaire laissait libre cours à l’audace, à l’humour et souvent à l’irrévérence des artistes… faire appel à l’intercession des dieux du bonheur ne pouvaient qu’attirer leur bienveillance et en revêtant des vêtements de bon aloi, être sûr d’obtenir d’abondantes pêches !
Ebisu, patron des pêcheurs est en bonne place au festin des dieux, l’artiste a déployé ici toute sa maîtrise de la composition en ajoutant à la technique de Tsutsugaki, celle du pochoir Katazome pour obtenir de splendides jeux de couleurs
La daurade, mets de choix figure au menu symbolique car son nom « Tai » forme un jeu de mot avec « Medatai » joyeux !
Les héros des contes et des légendes illustrent aussi les goûts pour le merveilleux comme l’histoire du pêcheur Urashima Tarô qui vivait heureux au Ryûgû-jô, le palais au fond de la mer…
…avant de perdre ses illusions et ses années de bonheur en revenant dans son village sur terre où il trouvera un sort funeste
Le Noshi, nœud composé primitivement de lamelles d’ormeau séché destinées aux offrandes mais qui furent déclinées ensuite en simples rubans…
…voyait son pouvoir décuplé par l’ajout du trio pins, bambous et fleurs de prunier
Les artistes et les commanditaires des Tsutsugaki avaient aussi une nette préférence pour les représentations des Takara zukushi, répertoire de trésors, leur association sur une même pièce d’étoffe ne pouvaient qu’augmenter encore leur pouvoir bénéfique
Le Hôju, joyau sacré sensé exaucer tous les vœux, est abondamment représenté sur les dessus de futon et sur les vestes de fête avec le motif Makimono, rouleaux d’écrits pour accéder à la connaissance, et celui Kakuremino et Kakuregasa la cape et le chapeau d’invisibilité permettant de se cacher des maladies et des mauvais esprits
Le « répertoire des trésors » est assez abondant car on y incluait tout ce qui était rare et précieux en plus des animaux fabuleux et des objets mythiques
Ainsi la carapace de tortue qui servait dans la Chine ancienne pour la divination ou de l’éventail de commandement incluant la notion de victoire …
Tous ces motifs classiques décorant les Tsutsugaki étaient empruntés aux catalogues de dessins pour Kimonos, recueils dont s’inspiraient fortement les artisans tout en exerçant leur grande liberté créatrice sur l’ensemble de la pièce d’étoffe à leur disposition
La suite de l’exposition à venir…
Que c’est beau l’indigo ! Aussi beau en dégradé de bleus avec la couleur naturelle du tissu non teinté qu’avec ces chauds rouges…
Y a-t-il une superstition envers le vert ? Ou est-ce par manque de teinture de cette couleur ? Ou alors un parti-pris esthétique ?…
Chère Madame Tsuruya, l’emblème de ta belle-famille, la grue, est un symbole magnifique. Et, va savoir pourquoi, je me suis souvent comparée à une tortue… Nous voici réunies dans ce bel article !
Oui chère Katell, Tsuru et kame font un beau duo c’est vrai, mais au Japon c’est une formule tellement rebattue que mon mari était moqué à l’école primaire sous le sobriquet de Tsurukame ce qui le mettait en rage évidemment !
En fait le berceau de sa famille paternelle était originaire d’un ancien village de montagne dont la vallée abritait des grues…D’où le nom sûrement …que je trouve très évocateur
Le vert était difficile à obtenir en teinture, généralement on mélangeait du jaune, obtenu avec différentes plantes, à l’indigo mais la couleur virait souvent au brun…tout comme en Occident…d’où la mauvaise réputation de la couleur verte !
Quant à l’indigo, il est toujours sublime, mais encore plus sur ces textiles qui présentent toutes les nuances du vécu
Magnifiques tissus. Merci pour la découverte et les explications.
Bonne soirée.
Merci Catherine, il est vrai que l’on ne pense nullement à ces textiles quand on parle de tissus japonais !
Dommage que toutes ces belles expositions restent sur Paris, mais grâce à vous, nous en profitons et je vous en remercie.
Merci Béatrice, il est vrai que je pense à mes lectrices lointaines en prenant des photos qui, par chance, étaient autorisées
Votre commentaire est un encouragement que j’apprécie d’autant plus !
Je joins mes remerciements à ceux qui précèdent ! J’ai aimé l’explication des jeux de mots, la part intraduisible de toute langue.
Preuve que les motifs sur les étoffes sont bien plus que simplement décoratifs .. ici c’est patent.J’attends la suite avec impatience.
Merci Jacqueline, oui, la langue japonaise est fertile en homonymies ce qui facilite les jeux de mots évidemment ! Si j’en cite quelques uns c’est pour égayer mon article !!!
Mille mercis aussi, Marie Claude.Votre reportage me donne fort envie de faire un tour au musée Guimet (que j’adore) à mon prochain voyage à Paris.Vos explications, érudites mais jamais lassantes, éclaireront ma visite.
Amitiés de Françoise
Merci Françoise, de me faire le plaisir de m’absoudre de pédantisme ! Oui, courez voir cette expo, il est temps encore…
Je vais vite rédiger la suite pour vous faciliter encore plus la visite !!!
Bonjour, Je ne suis pas sur de me souvenir de tous les mots japonais,!!!merci de nous faire participer à cette visite et aux explications toujours si agréables à lire
Cela me donne le regret de ne pouvoir « monter » à paris, pour visiter ce musée qui était un de mes préféré…avec dans les mains vos précieuses explications
Encore merci
Merci Arlette, je ne mets les noms en japonais que pour apporter des précisions à qui aime les noms évocateurs ! Je confesse que cela peut faire prétentieux…Mais vivre avec un Japonais depuis tant d’années, c’est devenu une seconde nature d’utiliser des noms en V O !
Vivre tout près de Paris a des avantages certains ! Je passerai volontiers sur les inconvénients !
Non ,non aucune prétention, je ne le vois pas comme cela,
moi c’est de vivre avec un anglais depuis si longtemps, j’utilise les mots en VO pour le patchwork !!! j’avoue que mes neurones renâclent à mémoriser une autre langue !!
Merci pour toutes ces explications
Arlette, dans ce cas on se comprend ! Et il y a encore de la marge avant de m’exprimer en Volapük !
Bonjour, c’est avec un plaisir toujours renouvelé que je lis vos « chroniques ». Les traductions en japonais….. quel plaisir, quand je les prononce j’ai l’impression d’être un peu au Japon. Lors de votre visite au musée Guimet avez-vous fait un passage à la boutique ? Avez-vous consulté voire acheté un ouvrage sur l’exposition Tsutsugaki ? Merci pour votre avis et vos conseils.
Dominique
Merci Dominique, Oui les noms japonais sont évocateurs c’est certain et ils « enrichissent » en quelque sorte mon article !
J’ai en effet feuilleté le catalogue qui reprend les cartouches de l’exposition, en tout cas il ne déparera pas dans la bibliothèque d’une amatrice de textiles !
Une erreur amusante dans l’expo est de mentionner « un tombeau shinto » alors qu’évidemment cela n’existe pas ! Un Torii n’est là que pour mentionner un lieu sacré
bonjour
je n’arrive pas a savoir quelles sont les autres couleurs utilisées pour les tsutsugaki ? le gris et le rouge notamment ? c’est pas de la teinture comme l’indigo, plutot un pigment rajouté mais dans ce cas là cela part au lavage ? cela déteint ?
je n’arrive pas a trouver la réponse, si vous pouviez m’aider ce serait génial …
merci bcp par avance
Les différents gris sont en indigo aussi ce sont des bleus plus ou moins affadis d’ailleurs, les rouges-orangés sont issus d’une plante appelé Benibana, les bruns du jus de kaki, couleurs obtenues en teinture, les autres teintes sont en effet des pigments plus ou moins vifs appliqués au pinceau sur toile sèche
Bien sûr le vrai indigo déteint mais comme les teinturiers l’on dès la fin du XIXe siècle mélangé avec du bleu synthétique, beaucoup de « vrais » indigo restent stables
Quant au lavage il m’est impossible de répondre, car je n’ai jamais lavé de Tsutsugaki !