Paris – Musée du Quai Branly – 2011
Cette exposition au musée du Quai Branly, placée sous les auspices du couturier, Christian Lacroix auquel a été dévolu le rôle de scénographe, prouve qu’un nom connu du milieu de la mode ne peut que drainer une foule de femmes enthousiastes comme le rappellent perfidement les journalistes (masculins évidemment !)
J’ai suivi les reportages dans lesquels ce couturier parle des destinées des femmes du Proche Orient de façon assez romantique, sans oublier de rappeler constamment au passage son propre parcours dans une auto promotion assez agaçante
Recours à un genre d’artifice médiatique sur lequel certains journalistes s’extasiaient, surtout sur le tapis-moquette dessiné par le grand homme !
En dépit de cela, l’exposition est passionnante si on veut bien admettre que les multiples broderies décoratives loin de la futilité à laquelle on les associe généralement sont les témoins des diverses influences artistiques ayant circulé dans tout le Moyen Orient à travers les époques
Au fil du temps, les broderies serviront à imiter peu à peu sur les habits populaires les galons tissés de fils d’or et d’argent qui ornaient les somptueux vêtements du clergé et de la noblesse
La pièce la plus émouvante de l’exposition est une robe de fillette en coton, datant du XIIIe siècle, retrouvée sur un des corps momifiés lors de fouilles archéologiques dans une grotte au Liban
La découverte d’une telle pièce, aux broderies inspirées de celles des vêtements des Mamelouks d’Égypte, prouve la longue permanence des styles de broderies qui se retrouveront jusque dans les décors des robes palestiniennes du début du XXe siècle
Les robes venant de Syrie, Jordanie, Palestine et des Bédouins du Sinaï, prouvent que les femmes ont cherché à créer des vêtements pour s’embellir, donner un sens à leur vie, exister, sortir du rang d’une société dominée par divers réseaux familiaux, claniques et communautaires qui ne leur offraient guère un milieu propice à leur épanouissement
Les costumes des femmes de Syrie sont multiples, reflets d’un territoire diversifié et des nombreuses ethnies qui le composent depuis longtemps avec leurs apports culturels issus des cultures byzantines, turques, perses ou encore kurdes
Si les costumes des femmes des grandes villes comme Damas ou Alep, étaient copiés sur le style des vêtements en vogue à Istanbul à la même époque et souvent confectionnés dans des ateliers de couturiers-brodeurs, les robes typiquement syriennes des citadines des petites villes et des femmes du monde rural étaient faites à la maison avec du tissu acheté à des colporteurs
Le décor de ces robes syriennes en coton ou en soie, réside principalement dans leur technique de teinture à la réserve (appelée « Shibori » sous d’autres latitudes !)
Après que certaines parties du tissu soit nouées autour de graines, des lentilles par exemple, l’étoffe est plongée dans un bain composé de plantes tinctoriales comme le jus d’écorce de grenade ou l’indigo, laissant apparaître de nombreux points formant des motifs géométriques
L’indigo, colorant naturel le plus ancien a toujours été employé dans le monde arabe, son utilisation pour les tissus ordinaires et pour les étoffes plus précieuses véhiculait du symbolisme dû en partie au travail de spécialiste gardant jalousement leurs secrets et au caractère prophylactique attribué à cette teinture
De plus, l’indigo faisait ressortir les broderies et mettait en valeur les lourds bijoux en argent qui complétaient la tenue lors des jours de fête
Les robes teintes en indigo et souvent lustrées par le frottement d’une pierre tendre devenaient douces au toucher et plaisaient pour leur aspect soyeux
Ces robes en général très sobres, étaient rehaussées pour les grandes occasions de broderies très élaborées en fils argentés autour du col, de pompons de soie ou de breloques au bout des manches
Au nord de la Syrie, la mode proche de celle qui prévalait en Irak, privilégiait les couleurs lumineuses et les manches en ailes de papillon, manches que l’on attachait dans le dos pour vaquer commodément à ses occupations
Sur des tissus achetés chez des marchands ambulants et cousus en robes par les femmes de leur parenté, les jeunes filles commençaient à broder minutieusement et patiemment en vue de leur mariage, premier et sûrement plus grand évènement de leur vie
Points de trait, points couchés mais surtout points de croix se partagent l’espace du devant de la robe et des extrémités des manches
Les symboles traditionnels de la Syrie comme l’arbre de vie, le cyprès, symbole d’éternité, les triangles sous toutes leurs formes, souvenirs du monde byzantin, sont privilégiés en fils de soie dans des couleurs vibrantes
Les robes-manteaux des femmes bédouines du monde nomade offrent des broderies somptueuses sur des tissus en majorité de coton noir
Les broderies en fils de soie sont extrêmement riches et élaborées…
…Où la forme du triangle brodé sur la poitrine, les épaules ou le dos joue le rôle essentiel de protection contre le mauvais œil…
…Triangles en argent aussi efficaces d’ailleurs en pendentifs autour du cou, aux oreilles et sur le front, comme en ceinture serties de pierres semi-précieuses chez les bédouines de haut rang
Les broderies symbolisant des myriades de fleurs, contrastant avec l’austérité de leur milieu désertique manifestaient peut être l’enchantement ressenti en arrivant dans les oasis
L’industrie textile de la Syrie était très importante et fournissait en tissus de soie tous les pays voisins
Les fils de soie syriens de bonne qualité pour la broderie et les fils métalliques étaient recherchés et vendus dans tout le Moyen Orient
Sur ce manteau, typique des costumes de fête syriens, le triangle protecteur, surtout s’il a un motif bleu en son centre, est omniprésent
Le mariage réussi entre les motifs géométriques byzantins et l’art floral de la Perse est manifeste sur les petites vestes qui complétaient les tenues de fête
L’influence du style ottoman mâtiné d’Antiquité tardive est évidente dans les broderies en points couchés réalisées en fils de soie dorés sur des boléros en velours uni de couleurs sombres afin de mettre en valeur le travail élaboré
Réalisations habiles et motifs savants venant probablement d’ateliers de brodeurs ayant à leur disposition tout un répertoires de modèles choisis …
…car nombre de broderies étaient faites machine, en dépit des allégations lues et entendues ici et là !
J’ai vu ainsi, en Algérie où j’ai vécu dans les années 1980, de semblables broderies réalisées à la machine par des artisans venant du Moyen Orient, qui en agrémentaient les robes pour les mariages des riches Algéroises
En Jordanie aussi, les costumes se caractérisaient par leur diversité et leur originalité
Les robes somptueuses du sud jordanien dont la soie est teinte selon la technique de l’ikat, aux deux manches inégales, la plus large ramenée sur la tête en guise de voile, étaient complétées pour les femmes mariées, par des bandeaux de tête cousues de pièces d’argent très serrées, trésors provenant de leur dot
Au nord de la Jordanie, les robes noires en soie, coton ou synthétique étaient brodées de fils de coton aux couleurs chatoyantes
Des robes en soie souvent bicolores sont décorées d’applications de taffetas de soie imprimée venant de Syrie
Des robes très sobres noires brodées aux fils blancs…
… au passé plat ou avec des points de trait, ignorent, en Jordanie, les points de croix si abondants dans les autres pays
Des robes surprenantes, gigantesques, ceinturées et rabattues en une double jupe grâce au retroussis à partir de la taille, servaient de jupon ou de réceptacle pour les objets
Les très longues manches s’enroulaient autour de la tête pour se protéger des vents de sable ou pour cacher son visage de façon décente
Là aussi, la teinture à l’indigo avait pour tâche de protéger la femme contre le mauvais œil
La deuxième partie du reportage sera consacré à la Palestine
L’Orient des femmes – 2ème partie
Quel plaisir de revoir-ou même de voir, car beaucoup de détails m’ont échappé,- ces merveilles de robes.Encore une fois votre oeil exercé et votre savoir font notre joie.
Merci pour le temps généreusement donné.
Françoise
PS:Christian Lacroix…oui…bon…un moi quelque peu surdimensionné, sans doute!
Merci Françoise, les détails n’étaient pas faciles à capter et les photos ne sont pas bien fameuses par manque de lumière..
Quant à Ch. Lacroix, il est devenu presque intouchable, n’est-ce pas ce qu’on appelle une icône dans les médias ? Ne pas le révérer, est-ce si grave ? Il faut dire qu’en matière de mode actuelle, je me comporte en béotienne !
Remarquez que je ne me suis pas permise de critiquer en quoi que ce soit son travail de couturier qui est fort apprécié à l’unanimité dirait-on
Je suis allée à l’expo au tout début et la seule chose que l’on m’a laissé photographier était la moquette ! Par dérision j’avais mis la photo sur mon blog, souvenir de mon « passage » !
je suis bien contente de voir tes photos et les commentaires si pertinents
j’attends la Palestine avec impatience
Bon Soir
Ah ! Je ne comprends pas, les photos étaient libres le jour de ma visite…La moquette…pas mal en effet ! La Palestine vient…
Je n’ai pas vu cette exposition et je le regrette, mais votre reportage est tellement intéressant et si bien documenté que c’est un vrai plaisir on s’y croirait ! merci !
Je vous emprunte une photo pour mon blog, je n’oublierai pas de signaler sa provenance, j’ai justement commencé un cours de mola avec mes élèves et ce n’est que de l’appliqué inversé comme sur ces robes si joliment travaillées ! hugs
Sylbie
Merci Sylbie, je suis ravie que mon article vous ai comblée ! Bonne réussite donc pour la Mola !
j’ai depuis une dizaine d’année deux robes venant de palestine avec lesquelles je danse
elles sont brodées sur un tissus noir ( malheureusement syntétique). j’ai essayé d’en laver une et avec horeur le noir c’est délavé et ma belle broderie c’est retrouvée toute ternie de noir ( et pourant j’ai passé à l’eau avec du vinaigre, mais a peine mouillée c’était la catastrophe) je souhaiterais savoir si quelquun peut me donner un conseil pour pouvoir laver ces robes sans perdre l’éclat merveilleux de ces broderies..qui elles sont en coton merci d’avance pour votre aide
Les tissus de base des robes n’étaient en général pas grand teint, l’indigo et les autres teintures naturelles dégorgent toujours, la recommandation de laver à l’eau froide est souvent efficace…
Que faire en cas de migration de couleurs? Peut être essayer ces lingettes anti-transfert de couleurs vendues au super marché sans être sûre du résultat
Eh oui les femmes musulmanes aussi aiment les couleurs enfin celle d’orient!
Mais cela c’était avant que des fous religieux régentent la vie quotidienne …surtout celle des femmes « tentatrices »évidemment