Exposition – Rubens/Poussin

Paris – Musée Jacquemart-André – 2011

Une exposition classique parmi celles que les musées organisent depuis quelques années pour confronter des courants artistiques, mettre en lumière la richesse et l’intensité des échanges culturels sur une période historique donnée

Celle-ci présentait les influences réciproques entre artistes flamands et français dans la première moitié du XVIIe siècle

Au tournant du XVIIe siècle, les artistes flamands fuyant les bouleversements religieux des pays du Nord, tentent leur chance à Paris, capitale d’un royaume dont la centralisation accélérée regroupe en un seul lieu les instruments du pouvoir

Le mécénat artistique d’Henri IV mais surtout de Marie de Médicis permet d’accueillir les peintres venus des Flandres qui sont chargés en grande partie des commandes royales, comme Frans Pourbus qui va réaliser les portraits officiels de la Cour de France

Les peintres français découvrent, en réaction à l’intellectualisme renaissant du XVIe siècle, la sensualité naturaliste du baroque propre aux artistes flamands

Ainsi Van Dyck, élève de Rubens excellant dans les portraits aristocratiques, rend de façon froidement réaliste la physionomie ingrate de Marie de Médicis tout en lui restituant, dans son exil définitif loin de la Cour de France, son statut de reine

Anton Van Dyck – Portrait de Marie de Médicis durant son exil à Anvers

Le plus grand d’entre eux, Rubens se voit solliciter pour décorer les appartements de la reine dans son nouveau palais du Luxembourg avec une série importante de grands tableaux illustrant de façon allégorique le bon gouvernement de la régente du royaume

La peinture flamande rencontre un vrai engouement chez les collectionneurs et Rubens, modèle idéal de l’artiste savant, apprécié des amateurs d’art pour sa culture et sa vaste érudition, peintre admiré dans toute l’Europe, va influer sur le style des artistes français de l’époque

La sensualité avec laquelle Rubens peint la chair nacrée des personnages féminins, le tourbillon des draperies et les couleurs d’inspiration vénitienne participent au trouble de cette scène dont on est le spectateur privilégié !

Rubens – Le bain de Diane – 1635-1640

Cette forte présence artistique incite les artistes français à copier avant de les adapter les sujets et les modèles flamands des peintures de paysages, de fleurs ou de scènes paysannes

Les paysages d’une élégie bucolique de Jacques Fouquières, d’où est banni le pittoresque, séduisent les peintres français par ses couleurs transparentes caractéristiques de la lumière du Nord

Jacques Fouquières- Paysage montagneux – 1621

Avec les frères Le Nain, par leurs emprunts aux artistes nordiques de thèmes de la vie populaire, le monde laborieux fait irruption avec une noble sévérité dans l’univers pictural français

Pourtant loin de l’exubérance baroque flamande, ils se révèlent plus proches de la sérénité des peintres hollandais

Frères Le Nain – Le concert – Vers 1650

Cette scène dite « de genre » aux couleurs vibrantes qui peut être considérée comme une allégorie des âges de la vie garde un équilibre mesuré propre à l’art français

Lubin Baugin, s’adonne à la peinture de nature morte dans sa jeunesse, reprenant lui aussi des thèmes nordiques mais avec une spiritualité méditative jouant avec des effets de lumière réfléchie sur les textures, avant de se consacrer uniquement à la peinture de grands tableaux religieux dans un style maniériste

Lubin Baugin – Nature morte à la coupe d’abricots – Vers 1630

Pierre Patel, influencé par Le Lorrain peint de vastes paysages aux ruines antiques, traités dans une atmosphère à la transparence bleutée traversée d’éclats lumineux nuancés de surnaturelle douceur où la présence de bergers et d’animaux d’une fine observation accentue une discrète poésie

Pierre Patel l’Ancien – Paysage de ruines – Vers 1645

Nicolas Poussin, mal à l’aise dans le milieu de cour parisien, part s’installer à Rome et devient le défenseur d’un nouvel idéal classique par ses références constantes à l’Antiquité dont il s’attache à peindre les ruines et à illustrer la mythologie

Ses premiers tableaux romains destinés à de très cultivés mécènes et à des amateurs érudits pratiquant comme lui la philosophie et la lecture des textes antiques plaisent par leur accent de vérité dans l’expression des passions humaines dans ce qu’elles ont de violent ou de changeant

La scène où Mercure voulant séduire Hersé, en changeant au passage en statue de sel Aglaure sa sœur qui veut l’en empêcher, est d’une sensualité manifeste mais ne manque pas d’ironie dans les gestes significatifs des puttis qui dévoilent la nudité de la belle consentante

Poussin – Mercure, Hersé et Aglaure – Vers 1624 – (Tableau dont la couche picturale est amoindrie avec des repeints modernes)

Poussin illustrera plusieurs fois l’histoire du roi Midas qui pour se débarrasser du sort qui l’accable lave dans le fleuve Pactole son pouvoir maudit et la faute qui le condamne

Dans ce tableau de jeunesse, le roi Midas contemple un jeune homme recherchant dans les eaux du Pactole les paillettes et médite sur cet or qu’il a voulu et qui lui fut si funeste

La grande oblique quelque peu instable du corps de Midas qui fait fi du spectateur, dans sa rigueur méditative face à l’opulence de la nature aux couleurs profondes, traduit la vanité, la futilité des richesses, le désir et la fragilité de la condition humaine par opposition à la raison

Nicolas Poussin – Le roi Midas au Pactole – Vers 1625

L’Antiquité fréquemment sollicitée est un thème récurrent dans l’œuvre de Poussin qui illustre ainsi des épisodes tirés des Métamorphoses d’Ovide comme l’histoire tragique de Vénus et d’Adonis

La retenue supérieure dans le jeu des émotions favorise la fusion des mythes païens et chrétiens chère à Poussin

Elle se fait jour dans l’attitude de Vénus versant un nectar sur le corps de son amant afin que transformé en anémone il vive éternellement, et dans la position du corps semblable au corps du Christ dans une Lamentation peinte à peu près à la même période

Poussin – La mort d’Adonis – Vers 1635 – (Tableau dont la couche picturale est amoindrie)

La réflexion des artistes, Nicolas Poussin et son beau-frère Gaspard Dughet, sur la place de l’homme dans la nature, pourvoyeuse du bonheur terrestre mais aussi spirituel, est autre qu’une simple restitution visuelle

Dans le paysage, genre considéré auparavant comme uniquement décoratif, le refus d’une sève populaire et l’expression d’une nostalgie inaccessible fait de ces paysages un modèle du classicisme français

Gaspard Dughet – L’orage – Vers 1650

La dernière partie de l’exposition censée montrer les influences du classicisme français sur les peintres de la principauté de Liège au milieu du XVIIe siècle m’a laissée dubitative sur le bien-fondé de la confrontation, et à part quelques œuvres insolites, contempler des tableaux d’église grandiloquents ou des scènes mythologiques mièvres et affectées ne m’aura laissée que de marbre !

Hôtel Jacquemart-André – La montée d’escalier dans le goût classique à l’antique

Le musée Jacquemart-André occupe un hôtel particulier édifié à la fin du XIXe siècle dans le nouveau Paris d’Haussmann par Edouard André banquier de son état ayant épousé une artiste peintre Nélie Jacquemart

Hôtel Jacquemart-André – Façade de la cour d’honneur

Ce couple fortuné va enrichir au fil des ans une collection surtout consacrée à l’art italien de la Renaissance et aux peintures du XVIIIe siècle français

La mise en lumière de la cour d’honneur

2 réflexions sur « Exposition – Rubens/Poussin »

  1. Chaque fois , je crois, je commence mon commentaire par merci ! Cela va finir par paraître obséquieux ! Bien sûr, rien ne remplace la vision réelle des oeuvres mais tes réflexions permettent toujours de porter un autre regard sur ces peintures, de les voir
    finalement ! oui merci de prendre la peine (?) de rédiger ces remarques
    Bon Jour

    • Voir soi-même les peintures est irremplaçable c’est vrai, mais beaucoup de personnes n’y ont pas accès, de là l’intérêt des reproductions auxquelles j’apporte beaucoup de soin
      Quant aux textes, j’essaie à mon niveau d’amateur de faire-part de mes réflexions, surtout après avoir lu les compte-rendus d’expositions dans lesquels je suis attristée de voir tant d’inexactitudes grossières sinon de bêtises !
      Et si écrire me donne en effet quelque travail, je le fais aussi pour essayer de sauvegarder mes neurones défaillants, c’est une bonne alternative aux mots croisés !
      Et si, Marie-Hélène, ce que j’écris trouve un écho en vous j’en suis vraiment ravie !

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