Bando Tamasaburo – Danses Jiuta

Paris – Théâtre du Châtelet

Suite à mon article sur le Kabuki de 2012

Le début du mois de février fut un moment faste avec la venue au théâtre du Châtelet de l’artiste Bandô Tamasaburô pour deux spectacles bien différents mais qui témoignaient tous les deux et à l’évidence de son incomparable talent d’Onnagata

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Un « Trésor national vivant » depuis 2012!

Un lieu un peu insolite pour ce genre de spectacle qui demande l’épure, mais la présence de l’artiste nous transportait immédiatement loin des ors du décor parisien

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Les loges des balcons et le lustre ornant le plafond en forme de coupole

Le théâtre du Châtelet fut construit à la fin du XIXe siècle, au moment où les grands travaux du baron Haussmann transformaient le Paris encore moyenâgeux en une capitale moderne

Dans cette jolie salle à l’italienne en forme de demi-cercle, sous le lustre du plafond en coupole, les élégantes arches des balcons s’ornent de cartouches dorés inscrits de mots plaisants comme comédie, féerie ou encore vaudeville voisinant avec des petits personnages allégoriques, peints sur des tondis à la manière transalpine, chargés d’illustrer ces éléments divertissants

130213_036 Paris - Bando Tamasaburo au théâtre du Châtelet

Fresque à l’italienne dans le goût du XIXe siècle

Le décor tout à fait charmant se charge de faire oublier, un temps, la vétusté des sièges inconfortables en peluche rouge râpée ainsi que leur exiguïté !

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Décoration de stuc ou de bois doré sous les loges

Un décor minimaliste sur la scène fut sobrement installé afin de laisser la primauté à la présence de l’artiste

Les trois soirées consacrées à la danse « Jiuta mai » (danse et chant d’une province) furent impressionnantes de maîtrise, de raffinement mais aussi de douceur imprégnée de poésie rêveuse

Le chanteur et joueur de shamisen Tomiyama Seikin, Trésor national vivant depuis 2009 accompagné de son fils au koto devant le rideau de scène signé G.Garouste

Les trois danses Jiuta que Tamasaburô avait choisies exprimaient tour à tour les mouvements secrets de l’âme de femmes aux amours malheureuses en suivant les poèmes chantés par un musicien s’accompagnant seul au shamisen ou bien en duo avec un joueur de koto

Ce genre de danse ancienne diffère complètement des danses du Kabuki, en dépit du titre « accrocheur » de la programmation du théâtre, ce sont des danses faites pour être données dans un cadre privé, là où la beauté intimiste du chant est la plus bouleversante

130217_003.jpg-2 Paris - Bando Tamasaburo au théâtre du Châtelet

Bandô Tamasaburô dans « Yuki » (la neige) – Photo de Shinoyama Kinshin

Bandô Tamasaburô est un Onnagata d’une immense perfection, il sait camper, avec une illusion confondante, par d’imperceptibles flexions de tête et d’insaisissables mouvements des paupières les attitudes idéales et l’état d’esprit de femmes en proie aux doutes et aux abandons

Il exprime par des fléchissements ténus du corps, accompagnés du flottement des longues manches du kimono, et par une marche glissée qui semble effleurer le sol l’évanescence d’un monde qui fut

On croit percevoir ainsi sous le visage maquillé de blanc et muet de Tamasaburô tout un monde d’expressions, de la joie mutine à l’agitation ou à la langueur du dépit amoureux

130217_021.jpg-2 Paris - Bando Tamasaburo au théâtre du Châtelet

La courtisane mélancolique de la danse Yuki – Photo de Shinoyama Kinshin

Dans la danse « Yuki » (la neige) son jeu avec une ombrelle nous donne l’illusion de voir tomber une neige immatérielle, l’expression de solitude et du renoncement au bonheur d’une courtisane lors d’un soir d’hiver est pathétique

Mais la danse peut aussi exprimer le délire d’une femme jalouse, le kimono alors virevolte selon les pas précipités du danseur, son éventail manié comme un poignard extériorise la fureur de l’héroïne changée en démon

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Bandô Tamasaburô dans « Aoino-ue » (Dame Aoi) – Photo de Shinoyama Kinshin

Les émois amoureux d’une jeune fille dans la danse « Kanega misaki » (le cap de Kanega ou la cloche du temple) sont révélés par une danse tout en retenue aux gestes déliés chargés de transmettre le sentiment de beauté, de fraîcheur et d’innocence de l’héroïne

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« Kanega Misaki » et son décor éthéré de cerisiers en fleurs

Les kimonos et les perruques que revêt Bandô Tamasaburô sont somptueux mais extrêmement pesants, il est incroyable de le voir évoluer avec autant de grâce et de souplesse dans ces atours sophistiqués mais si contraignants

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Fin de la représentation, Tamasaburô enchaîne les salutations à un public conquis !

Bandô Tamasaburô qui a accédé au titre prestigieux de « Trésor national vivant » en 2012, venant couronner une carrière exemplaire au service de la tradition japonaise en a été satisfait, mais il pense que cette nomination vient à temps pour essayer de sauvegarder un art traditionnel en perte de spectateurs, l’héritage d’un passé prestigieux se révélant bien difficile à faire perdurer

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Salutation exquise au public parisien en délire ! Plus d’un quart d’heure de rappels !

Bandô Tamasaburô est un artiste très apprécié dans le milieu du textile traditionnel de Kyoto, là où il peut encore se procurer ce qu’il désire pour parfaire ses tenues de scène, ses photos en Onnagata sont exposées avec fierté et il y a gagné le surnom affectueux de Tama chan !

Les trois danses « Jiuta » étaient magnifiques …mais se révélaient bien trop courtes et nous aurions aimé que le spectacle dure un peu plus longtemps !

Aussi n’avons-nous pas boudé notre plaisir en allant voir une des représentations suivantes consacrées à une pièce du théâtre chinois Kunqu, « Le Pavillon des pivoines » dont Tamasaburô est le metteur en scène et l’acteur principal

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Rideau de scène peint à la chinoise pour le Pavillon aux pivoines

Le théâtre Kunqu du sud de la Chine se distingue de l’Opéra de Pékin par sa musique et ses chants, sans les acrobaties et le tapage si fréquents dans les représentations du théâtre du Nord

L’histoire du Pavillon aux pivoines est un grand classique qui comporte d’innombrables péripéties, mais Tamasaburô avait choisi de réduire l’œuvre à quelques épisodes marquants pour sa première représentation en France

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Les deux amoureux : Du Liniang (Belle) et Liu Mengmei (saule et prunier) au dernier acte de la pièce – Bandô Tamasaburô et l’acteur chinois Yu Jiu Lin

L’intrigue de la pièce est l’histoire d’amour de la belle Du Liniang pour un jeune homme rencontré en rêve dans un jardin planté de pivoines, mais qui restant inaccessible dans la vie réelle entraîne sa mort par désespoir puis, après un jugement favorable de l’Empire Infernal, revient à la vie grâce à un philtre mystérieux et réalise enfin son union avec le bien aimé retrouvé

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La belle Du Liniang dans son costume rouge de mariée

La troupe de l’Opéra-Théâtre Kunqu de Suzhou de la province de Jiangsu était accompagnée d’un ensemble orchestral d’une quinzaine de musiciens, dont une magnifique flûte, instrument principal, se chargeait de la douceur tendre inhérente aux scènes de rêve

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La belle Du Liniang jouée par un Onnagata de 63 ans quand même !

L’élégance et la sophistication du spectacle venaient des chants raffinés, de la beauté de la musique et de la grâce des acteurs évoluant dans de somptueux costumes de soie rehaussés de précieuses broderies aux couleurs recherchées

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Bandô Tamasaburô dans le Pavillon aux pivoines – Photos de Okamoto Takashi

Bandô Tamasaburô tenait le rôle principal, celui de la belle Du Liniang, jouée traditionnellement par un Onnagata, fonction qui n’existe plus dans le théâtre de la Chine contemporaine, et chantait pendant presque 2 heures 30 d’une voix très mélodieuse, mais d’une façon fort surprenante pour mes oreilles occidentales peu habituées aux mélismes d’une langue chinoise ancienne qui provoquaient, par moments, un léger ennui

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Une partie de la troupe aux magnifiques costumes brodés

Bandô Tamasaburô, légende vivante pour tous les aficionados du Kabuki et de la danse japonaise entre autres, a prêté son concours récemment à des annonces publicitaires… pour un matelas !

Ou la manière hélas peu glorieuse d’écorner un mythe  !

14 réflexions sur « Bando Tamasaburo – Danses Jiuta »

  1. Waou, tu as bien de la chance de pouvoir assister a ca, moi, ici au Japon, jamais ! Faut dire aussi, je ne sors jamais du Tohoku…alors qu’en France j’etais parisienne, ici, je suis devenue completement provinciale !

    • Hé oui ! Un beau paradoxe, chère Flo ! Mais j’avais déjà vu Tamasaburô à Paris en 1986 ! Je tenais absolument à le voir encore car je l’ai manqué au Japon, il joue toujours à guichets fermés, ce qui était le cas aussi à Paris, mais je m’étais prise à temps cette fois !

  2. La toute, toute première fois que mes yeux et mes oreilles ont assistés à un spectacle de Kabuki, c’était à Londres. Je me rappelle encore la grande scène qui traversait toute la salle des spectateurs. Les longs pantalons ou les acteurs *traînaient * les pas en glissant sur les grands canons du pantalon.
    Comment oublier un premier spectacle de Kabuki !

    J’avais acheté le programme qu’une copine a insisté pour me l’emprunter. Evidemment, je ne l’ai jamais revu. je le regrette encore. C’était si étrange.

    • Oui, Béatrice, beaucoup « d’étrangers » sont passionnément amateurs de Kabuki, d’ailleurs il y a eu quelques déçus à la fin du spectacle, le théâtre du Châtelet ayant « appâté » avec une publicité pas tout à fait exacte !

  3. Oui on se sent un grand désir de toute cette beauté que je viens de découvrir ce matin.Pourquoi la joie que donne la beauté est elle si proche de la nostalgie?
    Merci Marie Claude de nous avoir entrouvert cette porte.
    Amitiés fidèles de Françoise

    • Vous comprenez, chère Françoise, comme toujours, les sentiments que j’exprime avec retenue …
      La nostalgie, car les occasions de contempler la sublime beauté deviennent rares, perfection obtenue par une vie de travail, faut-il le souligner
      Cet art est en voie de disparition…on pourra toujours se rabattre sur la beauté d’un téléphone portable, comme le disait avec satisfaction un technocrate, entendu à la radio ! Et au moins c’est rentable !

    • Le design technologique est sûrement plaisant, mieux vaut un bel objet du quotidien qu’un vilain mal conçu, certes…
      Mais je ne me pâme pas encore d’admiration devant mon téléphone portable !
      Quant à l’argent, il a toujours mené le monde et ce n’est pas près de changer, l’Histoire nous a démontré que la lutte est inutile

  4. j’admire vos ouvrages et cela me rappelle mon voyage au Japon et au Tokyo Dôme.
    je viens de faire un ouvrage avec des cravates que j’ai recouvertes de vliseline afin de tracer le gabarit,pourriez-vous me dire comment vous faites pour le tracé.
    amicalement

    • Merci Béatrice, nous avons donc une passion commune !
      Je ne colle jamais les soies de cravate sur un support, je les rigidifie avec de l’amidon qui part au fur et à mesure du travail, le thermocollant rend la couture plus facile c’est vrai, mais là réside le problème du tracé ! Je sais que des quilteuses utilisent un stylo à bille fin….J’avoue n’avoir pas de réponse précise à vous donner…

  5. Bonjour, pour faire suite au message de Béatrice et la réponse qui a suivit, j’ai également réalisé un grand ouvrage de losanges en soie sauvage et cravates offertes par mes amis, collègues de travail et mari. Bien sûr je ne voulais pas doubler ces cravates, mais les épaisseurs très variables, l’usure de certains tissus, l’impossibilité de tracer le gabarit tant le tissu « gigotait » m’y a contrainte. Solution : j’ai utilisé une vliseline extra fine sur la totalité de la cravate et j’ai ainsi tracé sans problème mes gabarits tout en renforçant le support. Le résultat final est satisfaisant et ne fait pas cartonner les soies. Amicalement.

    • Merci Dominique, de ce complément d’explication, je vais essayer votre méthode lors d’un prochain ouvrage avec des soies de kimono qui sont on ne peut plus glissantes, cela me facilitera le travail et m’évitera de pulvériser de l’amidon partout autour des tissus !

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