Exposition « Les arts décoratifs japonais face à la modernité »

Paris – Maison de la Culture du Japon

Par un beau mais glacial après-midi de fin d’automne, visite de l’exposition « Les arts décoratifs japonais face à la modernité 1900-1930« 

Le Maison de la culture du Japon, quai Branly

Exposition qui s’est tenue à la Maison de la Culture du Japon, bâtiment à la belle architecture contemporaine, à deux pas de la Tour Eiffel

Par jour de beau temps, le ciel clair et les arbres du bord de Seine se reflètent sur la façade bleutée, façade en courbe judicieusement adaptée à l’emplacement exigu choisi dans ce quartier prestigieux

La façade bleutée du bâtiment

Contrairement aux arts japonais traditionnels fort connus, cette exposition soulignait l’influence réciproque du Japon et de l’Occident au début du XXe siècle par des échanges artistiques renouvelant les styles décoratifs dans une démarche moderne et novatrice

La fin du XIXe siècle a vu l’ouverture du Japon vers l’Occident, le pays exportait alors pour les Expositions Universelles de nombreux objets qui séduisirent les collectionneurs et les artistes dans un engouement généralisé pour l’exotisme et l’orientalisme : le Japonisme inonda tous les domaines artistiques en Europe et aux États Unis

Puis, avec le temps et suivant la mode, la lassitude et le manque d’intérêt de la clientèle occidentale pour les objets décoratifs produits en masse, de facture grossière aux décors sclérosés, feront réagir le gouvernement japonais qui comptait sur les exportations pour le développement économique du pays

L’Exposition Universelle de 1900 qui marqua l’apogée de l’Art Nouveau à Paris exposa de nouvelles pièces où la qualité, l’originalité et la virtuosité technique firent l’unanimité des connaisseurs de l’art japonais

Vase de Kutani à décor de fleurs et d’oiseaux
Matsumoto Sahei – 1900

Ainsi ce grand vase de 50 cm. de haut, présenté à l’Exposition de Paris en 1900 témoigne de la qualité retrouvée des porcelaines d’exportation

Bien que peint sur couverte de décors traditionnels, et rehaussé de motifs décoratifs en or, la puissance imaginative alliée à une habileté remarquable lui donne un charme particulier, même si ce genre de pièce n’est plus au goût contemporain !

Détail des personnages finement peints

L’Art Nouveau, fortement inspiré par le Japonisme, est un style qui laisse une grande liberté à l’imagination, il séduisit et influença par un curieux renversement de situation les artistes japonais du milieu de l’ère Meiji, au début du XXe siècle

Les artisans japonais vinrent en Europe pour étudier les techniques occidentales et la chimie des minerais et des colorants

Le charbon de bois puis l’électricité pour chauffer les fours des potiers, les décors polychromes sous couverte, le vernis mat épais qui permettait des coloris pastel, le bleu de cobalt, les émaux, entre autres nouveautés, favorisèrent le renouveau de la porcelaine dans la mouvance de l’Art Nouveau

Vase à décor d’iris et de carpes
Katô Tomotarô – Vers 1900

Mais les artisans essayèrent de se dégager de l’aspect purement technique pour arriver à une volonté créative nouvelle, sans pour cela copier totalement l’Occident, en conservant une sensibilité propre à l’art japonais traditionnel

Vase à décor de canard mandarin
Nishiura Enji V – Vers 1900

Cet aspect entre tradition et changement préoccupèrent les artistes, qui tentèrent de trouver de nouveaux dessins, libérés des motifs occidentaux, et plus adaptés au goût japonais

Le décor et l’originalité de cette assiette, fruit de la collaboration entre un dessinateur et un céramiste témoigne de la recherche dans le style de la peinture décorative classique Rinpa en vogue au XVIIe siècle

Cette pièce, pleine d’humour, parle toujours à la sensibilité des Japonais d’aujourd’hui car c’est l’objet que mon mari a préféré dans l’exposition !

Assiette à décor d’ermitage sous la neige
Kawamure Seizan – Vers 1920

Le renouveau des dessins et des motifs concernèrent aussi les objets en laque Urushi-nuri

Dessin préparatoire de Asai Chû pour un écritoire en laque Maki-e…

Les peintres et les artisans de Kyôto travaillant la laque menèrent des recherches pour adapter les styles Art Nouveau à des formes anciennes traditionnelles comme les présentoirs à gâteaux pour la cérémonie du thé ou les écritoires à calligraphie

…réalisé par Sugibayashi Kokô – 1906

Bien qu’à l’époque, ces œuvres novatrices déplurent aux artisans conventionnels et aux maîtres de thé…

Boîte à étages en laque maki-e à décor de camélias
Mizuki Ippei – Vers 1915

…Elles témoignent d’une évolution d’une grande fraîcheur dans l’histoire des arts décoratifs menant au modernisme

J’ai particulièrement aimé ce lapin de la lune pilant du riz mochi, vieille légende constamment représentée jusqu’à nos jours et l’usage de la nacre en grands morceaux assemblés librement

Écritoire en laque maki-e
Kamisaka Yûkichi – Vers 1915

Les échanges entre tradition et modernité se concrétisèrent aussi pour les textiles

Les décors inspirés par l’Art Nouveau devinrent exubérants …

Kimono en soie – Teinture Yûzen – Vers 1925

…Comme sur ce kimono pour jeune fille à manches longues Furisode, selon la technique de teinture Yûzen dont les grands motifs surlignés de liserés or peints à la main lui donne l’apparence d’une œuvre picturale

Il est dû au grand maître de la teinture de Kyôto Tabata Kihachi III et a été réalisé sur commande sûrement pour célébrer un évènement particulier

Détail – Motifs peints à la main avec broderies

Le procédé de la teinture Yûzen se développant rapidement à l’époque Meiji, la production en masse nécessita le recours à la teinture aux pochoirs

Échantillon de teinture Yûzen
Motifs de filets de pêche – 1905

La teinture Yûzen qui remonte au XVIIe siècle devint très à la mode pour les kimonos vers 1900 avec des décors qui suivirent les tendances artistiques de l’époque

Échantillon de teinture Yûzen – 1903

L’Exposition des Arts Décoratifs et Industriels à Paris en 1925 où l’Art Déco est à son apogée influença de nouveau les artistes japonais venus nombreux en France pour l’occasion

A la différence de l’Art Nouveau qui cherchait sa source dans la nature, dans les courbes végétales et les motifs animaliers, l’Art Déco s’inspire du design des automobiles, des trains et des avions et vise à la fusion entre l’art et l’industrie

L’Art Déco devint le style le plus en vogue au Japon à l’époque Taishô, il exerça une influence décisive sur l’ameublement et l’architecture, comme on peut le voir fréquemment aujourd’hui, et stimula encore plus les artistes que les mouvements artistiques du début du siècle

Kimono en crêpe de soie – Vers 1925

L’arrivée de nouveaux colorants sous l’ère Meiji, l’introduction des métiers Jacquard et des techniques apprises notamment à Lyon provoquèrent de profonds changements dans le monde de l’industrie textile de Kyôto

Les tendances de l’époque en matière de dessins et de tonalités sont explorées avec beaucoup de savoir-faire…

Kimono en crêpe de soie
Motif d’empennes de flèches en Kasuri (ikat) – 1910-1930

…Et les kimonos modernes de cette période témoignent parfaitement de l’assimilation du style Art Déco au style traditionnel de Kyôto

Kimono en crêpe de soie – Vers 1925

Les potiers de Kyôto exerçant le métier de génération en génération, ainsi que le témoigne leur nom, eurent aussi souvent une formation dans la peinture traditionnelle japonaise, ce qui se remarque aisément dans leurs œuvres aux décors monochromes bleu sur fond blanc

Vase à décor d’orchidées, bleu sur fond blanc
Kiyomizu Rokubei V – 1924

Ils cherchèrent de plus, inlassablement, à perfectionner leurs techniques comme l’introduction de procédés innovants et de couvertes dans la fabrication traditionnelle

Vase à décor polychrome d’hirondelles
Kiyomizu Rokubei VI – 1930

Dans les années 1920, au début de l’ère Shôwa, les jeunes créateurs inspirés par le Constructivisme, voulurent exprimer leur propre originalité dans le contexte d’un bouleversement mondial inquiétant

Chandelier-fleur eu cuivre
Kitahara Senroku – 1926

Leurs réalisations éloignées de la tradition, entrèrent en conflit avec les tenants du monde figé, à leurs yeux, des arts classiques

Horloge murale
Naitô Haruji – 1927

Leur volonté d’être considéré comme des artistes plutôt que comme des artisans en aspirant à la liberté créatrice et à l’affirmation de leur individualité constitua la base du modernisme au Japon

Quittant l’exposition, nous prîmes un café, près de la Seine où une mouette pas effarouchée nous tint compagnie un bon moment et se prêta complaisamment à la séance photo !

Les photos de mes œuvres préférées sont toutes issues du catalogue édité pour l’occasion

8 réflexions sur « Exposition « Les arts décoratifs japonais face à la modernité » »

  1. Oh merci !
    j’avais inscrit cette expo sur mes tablettes et j’ai laissé passer la date !
    j’avais apprécié l’expo du musée Branly sur les influences occidentales
    je vais regarder de près le reportage
    Bon Jour

  2. Que voilà une belle visite encore !
    J’ai un faible pour les kimonos (j’ai la fibre textile bon je sais le jeu de mots est facile!)
    et les objets en laque …

    • Merci Alain,
      Le lapin (ou le lièvre) a toujours été associé à la lune car pour de nombreuses civilisations anciennes les taches plus sombres de la lune ressemblaient à un lièvre en pleine course !
      Un lièvre qui se sacrifia pour nourrir le dieu Indra dans une vieille légende hindouiste,(ou le Bouddha en Chine) fut récompensé de son dévouement en se voyant octroyer la lune comme séjour !
      En Asie c’est surtout le Japon qui en a gardé de si foisonnantes illustrations
      Pour les Japonais ce lièvre pilant du riz mochi était un symbole de prospérité, tout le monde aspirant à manger du riz, ce qui était rarement le cas pour la grande majorité de la population avant l’époque moderne
      Cette année est d’ailleurs en Asie, l’année du lièvre !

  3. MERCI POUR VOTRE RUBRIQUE RICHE D ENSEIGNEMENTS
    PASSIONNE MOI-MEME PAR L’ART EN GENERAL ET EN PARTICULIER PAR LES KATAGAMIS QUI NOUS ONT INSPIRE DANS LE DESIGN
    JE VOUS JOINS LE SITE QUE J AI CONSTRUIT AUTOUR DES KARTAGAMIS ETANT EN AUTRE COLLECTIONNEUR DEPUIS UNE TRENTAINE D’ANNEES
    JE REMETS AU GOUT DU JOUR CES OUBLIES DE L’HISTOIRE
    ENCORE MERCI POUR VOS PRECIEUX RENSEIGNEMENTS
    CORDIALEMENT
    MICHEL WARNANT

    • Très belle collection en effet ! Je partage avec vous une grande admiration pour ces artisans-artistes qui excellèrent dans l’art de la découpe du papier aux motifs typiques de la grammaire décorative du Japon
      Ce que j’admire peut-être encore plus c’est le long, minutieux et splendide travail d’impression des textiles en indigo à l’aide de ces pochoirs
      Mais, malheureusement les textiles sont toujours les parents pauvres de l’histoire de l’art en Occident, sujets d’ailleurs souvent réservés aux chercheuses féminines !
      Nos classifications absurdes entre les arts dits majeurs et les arts décoratifs étaient inconnus au Japon, mais l’influence pernicieuse de l’Occident a changé les mentalités au Japon aussi

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