Ryôanji – II – Le Jardin Karesansui

Voyage d’automne à Kyôto

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La création de jardins d’un style nouveau à l’époque Muromachi (1333-1573) suit de très près l’esthétique du bouddhisme Zen qui, fortement influencée par les modèles à reproduire venus du Continent, s’affranchira peu à peu de la notion de jardins de plaisance des lettrés chinois

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Espace clos pour le Karesansui, le jardin de méditation au Ryôanji
Vu au travers des branches d’un érable jouxtant la véranda du Hôjô, la résidence du Supérieur du temple,

Les deux sortes de jardins souvent aménagés dans l’enceinte des monastères Zen ne sont pas discordants, au jardin de promenade autour d’une pièce d’eau pour la contemplation d’une nature idéale recréée correspond dans un espace clos, le Karesansui, un petit jardin de goût austère dévolu à la méditation

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Karesansui – Fin d’après-midi d’automne dans le jardin de Ryôanji
Rectangle clos de 25 x 10 mètres
Vu de l’entrée, cliché pris en position debout !

Ces jardins de dimension réduite ne permettant pas la circulation sont destinés à être regardés en position assise sur le seuil des vérandas ou encadrés par les Shoji entrouverts, les cloisons coulissantes, des appartements des Jyûshoku, les Supérieurs des temples bouddhiques

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L’extrémité du Karesansui avec 2 groupes de 5 pierres
Photo prise du côté nord, en étant assis sur la véranda dont la position surplombe légèrement le jardin

Ces jardins de contemplation furent conçus par des artistes-moines bouddhistes cultivés s’adonnant aussi à la poésie et à la peinture à l’encre monochrome Nangaha, style inspiré de l’art pictural chinois

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Ryôanji – Fusuma dans le Hôjô
De style Nanga, ces peintures de paysage n’ont été réalisées qu’à l’époque Showa (1926-1989)

L’imaginaire et le vide évoquant l’infini contenus dans les peintures de paysage de style Sansui « montagne et eau » furent recréés symboliquement dans l’espace réel des jardins

De sobres éléments, du sable, des graviers, des pierres et quelques mousses ou végétaux persistants disposés dans un espace dûment étudié d’après le Sakuteiki, « Traité sur l’aménagement des jardins » suffisent seuls à rendre dans ce microcosme abstrait l’essence d’une nature intellectualisée

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Groupes de 2 et 3 pierres qui réunis forment une combinaison de 7 éléments

Cet intrigant jardin de Ryôanji soigneusement entretenu chaque jour par des moines qui y travaillent avec une ferveur minutieuse n’est pourtant pas immuable, il vibre selon les nuances de la lumière aux changements de saisons, une feuille qui vient s’échouer sur le sable fournit un sujet d’animation et de profond questionnement !

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Groupe de 2 rochers le long du mur du fond
Le muret qui enclot le jardin est constitué de terre cuite dans l’huile de navette, qui lui confère une solidité exceptionnelle

La lumière aveuglante de l’été sur le lit de graviers blancs de kaolin cède, en automne, aux douces nuances grisées, c’est en cette saison, assise sur la véranda en toute fin d’après-midi, que je préfère me fondre dans ce jardin

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Le premier groupe de 5 pierres à l’entrée du jardin
Jeux d’ombres créés par les ondulations du gravier blanc autour des rochers

On peut voir une synthèse de paysage en réduction dans ces arrangements de sable et de graviers savamment ratissés animant la surface et évoquant, à proximité d’un rivage, les rides du courant formant des ondes concentriques autour de quinze îles-rochers

Mais plus sûrement que la contemplation d’un paysage en miniature, cet espace créé pour la méditation permet une introspection silencieuse et il arrive que la conscience se focalisant sur un point du jardin fait se dissoudre peu à peu la surface accidentée de sable et de pierres

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Lumière douce d’un soir d’automne sur le Karesansui
La taille du jardin, un rectangle de 75 Tsubo (ou 150 tatamis !) se traduit par 25 x10 mètres, surface particulièrement importante pour un Karesansui, généralement beaucoup plus petit

Au Ryôanji, les quinze rochers naturels sont disposés par groupes de cinq, de deux et de trois, leurs réunions forment le chiffre sept, respectant la tradition ésotérique des chiffres bénéfiques 7-5-3 qui rythment la vie japonaise encore de nos jours

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2 groupes de 3 et 2 pierres
Les rochers non retaillés sont installés dans le jardin en respectant, en principe, la position qu’ils occupaient dans la nature

Ce Karesansui énigmatique est l’œuvre de jardiniers-paysagistes restés anonymes, mais la chronique ne se résolvant pas à admettre d’aussi obscurs artistes, s’empressa de l’attribuer à Sôami, célèbre peintre de style Nanga !

Ce jardin particulièrement renommé dès le début de l’époque Edo, connut au cours des siècles bien des interprétations

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Groupe de 3 pierres
Les tapis de mousses au pied des rochers apportent sobrement une touche de couleur

Toranoko watashi, les « petits tigres traversant » est le nom sous lequel était connu ce jardin à l’époque de sa construction d’après une antique légende chinoise d’une mère tigre transportant ses trois petits en faisant de nombreux aller-retours afin de les préserver de la voracité de l’un d’eux

Cette théorie, que d’aucuns jugent farfelue en ne se fondant que sur une vision matérialiste ! a le mérite de mettre en lumière le système de pensée symbolique qui régentait alors au Japon toutes les réalisations humaines

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Le premier groupe des 5 rochers de basalte
Photo prise en position assise sur la véranda

Si la combinaison Shichi go san, 7-5-3 est maintenant acceptée, il y a aussi la théorie des agencements de pierres selon l’idéogramme Kokoro, le cœur ou l’esprit, tel que ce Kanji est librement calligraphié

Les cinq groupes de rochers pourraient également symboliser cinq grandes montagnes chinoises ou encore les cinq Gozan, les temples Zen les plus importants de Kyôto

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Au-dessus du muret dont les couleurs patinées s’accordent avec la notion de Sabi, le toit étroit à double pente est recouvert de bardeaux de cyprès
Les bardeaux sont une restauration « à l’ancienne » car je l’ai encore vu, il y a quelques décennies recouvert de tuiles modernes

Il n’est pas possible en l’état actuel, debout ou assis sur la véranda, d’embrasser la vue des quinze pierres en une seule fois, ce qui encourage à admettre, selon la pensée Zen que l’idée de la perfection n’est qu’une illusion et une recherche vaine !

On prétend qu’autrefois quand le Jyûshoku, le Supérieur du temple, était assis au centre d’un plus vaste Hôjô, son logement, dont la taille fut réduite après l’incendie de la fin du XVIIIe siècle, il lui était possible de contempler les rochers au complet !

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A la manière des Bonseki « Jardin de pierres sur un plateau » jeu raffiné des esthètes depuis le XVIIe siècle pour harmoniser l’arrangement des pierres dans un jardin
En vue plongeante, les 15 rochers sont enfin visibles dans leur totalité
Bonseki exposé à l’entrée du Karesansui

Du jardin de sa résidence, Hosokawa Katsumoto, l’ordonnateur du Karesansui, aimait faire ses dévotions tourné dans la direction du Otokoyama Hachimangû, sanctuaire éloigné de Kyôto mais fort vénéré à l’époque

Des huit points de vue remarquables de la capitale, à la fin du XVe siècle, qu’il pouvait admirer de son jardin, les grands arbres qui s’élèvent désormais au-delà du muret ne le permettaient déjà plus à la fin du XVIIIe siècle

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Guide des sites remarquables de Kyôto publié à la fin du XVIIIe siècle
De grands pins à l’époque, barrent déjà l’horizon

Les religieux convertis à la philosophie du bouddhisme Zen et désirant quitter l’univers d’apparat des jardins aristocratiques, sublimèrent ces compositions abstraites qu’ils destinèrent principalement à la recherche de l’Éveil

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Jeu sur la perspective et sur l’effet de profondeur
La dimension du muret de 1,80 mètres se réduit progressivement jusqu’à perdre une hauteur conséquente à la jonction des 2 pans de murs

Mais ce jardin est devenu une image simplement évocatrice de la civilisation japonaise…

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Le jardin s’incline doucement vers le Sud-Est afin de faciliter l’évacuation des eaux pluviales
En bas de la véranda, des dalles de granit doublées d’un lit de gros graviers aident à drainer l’écoulement de l’eau

 …même si son sens esthétique universellement admiré, fait l’impasse maintenant sur le pourquoi de sa création

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Le nom du temple Ryôanji calligraphié avec les sceaux adéquats, et conservé depuis plus de 35 ans dans notre Shuin chô !
Le temple n’accorde plus désormais le souvenir de la visite

Un troisième chapitre -à venir- refermera cette visite au Ryôanji

4 réflexions sur « Ryôanji – II – Le Jardin Karesansui »

  1. merci pour ce splendide site et ces reportages fabuleux ! Cela nous fait voyager de chez nous ! C’est un vieux rêve que d’aller un jour au Japon, contempler les bâtiments anciens, temples et jardins, maison de thé, et autres splendeurs … je ne sas pas si il se réalisera un jour …

    • Merci Marie-Anne, de votre enthousiasme à la lecture de mes articles, j’en suis ravie !
      Apporter du rêve et donner envie de faire enfin le voyage, c’est pour cela aussi que je publie tout ce qui me touche au Japon
      D’autres reportages sont à venir, j’espère qu’ils vous plairont tout autant

  2. bonjour Marie-Claude
    ne suis-je pas assez attentive ? qu’est-ce que « notre Shuin chô » ?
    merci de vos promenades spirituelles

    • Ah ! L’étourdie que je suis a en effet oublié de préciser ce qu’est un Shuin chô !
      C’est le carnet qui recueille sous forme de calligraphies et de sceaux le nom des temples bouddhiques et des sanctuaires shinto, témoin de notre visite
      Les précisions que j’essaie d’apporter restant une marotte chez moi, merci Ella, d’être si attentive à la lecture de mes articles !

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