Paris – Musée du Quai Branly
Exposition Samurai – autres articles : I | II | III
Cette exposition mettait en scène la collection extraordinaire d’armures japonaises de G.Barbier-Mueller, rejeton d’un magnat des affaires, sortie pour la première fois de son musée privé de Dallas au Texas, pièces de collections venant essentiellement d’anciens fonds européens constitués au XIXe siècle
Les armures japonaises furent de tous temps des objets splendides, témoignages des vies de cour luxueuses, éléments de prestige sur le champ de bataille, symboles de l’honneur des nobles lignées et une façon de se préparer avec apparat à mourir les armes à la main
Au Japon, loin d’un goût particulier pour les objets dits « de guerre », les armures et les armes étaient conçus comme des objets d’art et recevaient la plus grande attention dans leur exécution
Le beau, quête de la vie quotidienne, favorisant aussi la spiritualité est toujours l’exaltation de la vie et de l’amour de la nature tantôt grave, tantôt plein d’humour
Gusoku et O-Yoroi l’armure complète est généralement constituée de grandes plaques de fer, de rangées de plaques horizontales…
…ou de rangées de petites lamelles de fer attachées par un laçage, plus ou moins complexe selon les époques, de cordons de soie ou de cuir colorés
Comme il était d’usage d’intégrer dans une armure des éléments plus anciens, il est fort rare d’en trouver une avec tous ses composants d’origine
Ces armures de collection sont donc toutes des montages très soignés d’éléments de différentes époques, pour la plupart armures de parade, exposées dans les demeures nobiliaires ou encore déposées, après la bataille, dans les sanctuaires shinto comme action de grâce
Une armure de samurai se compose de 8 éléments essentiels, tous d’une grande sophistication
Kabuto, le casque en fer avec protection de nuque et gorgerin en lamelles de fer articulées liées par des cordons de soie
Mengu et Membô, le masque de guerre comme protection du visage
Do, la cuirasse avec un corselet de protection de poitrine en fer
Sode, les épaulières, plaques indépendantes partant des épaules protégeant aussi le haut des bras
Kote, les brassards en cotte de maille doublés de soie prolongés par des gantelets en fer laqué
Kusazuri, la jupe d’armure articulée, suspendue à la cuirasse et divisée habituellement en 4 ou 7 pans afin de permettre le mouvement
Haidate, la sous-jupe ou cuissards en plaquettes de cuir laqué articulées maintenues par des cordelettes de soie
Suneate, les jambières en deux ou trois plaques bombées et jointes en fer ou en lamelles de fer verticales doublées de soie assortie aux manches
Les plus anciennes armures japonaises, d’après les figurines en terre cuite Haniwa de l’époque Yayoi remontant aux III-VIIe siècles étaient déjà constituées de plaques de fer rivées entre elles, inspirées de l’armement chinois avant de se modifier à partir du Xe siècle
A la fin de l’époque Heian au XIIe siècle, suppléant à la défaillance du gouvernement central de Kyoto, l’ascension au pouvoir des clans militaires provinciaux, issus de branches collatérales de la famille impériale, permit d’améliorer considérablement la qualité des armes et des armures
Les grandes armures complètes O-yoroi de l’époque Kamakura protégeaient surtout les cavaliers-archers de la noblesse lors des combats, les vastes épaulières remplaçant le bouclier qu’un archer à cheval ne pouvait manipuler en même temps que son arme…
… leur qualité intrinsèque leur assurant davantage de protection qu’aux fantassins assistant les guerriers de haut rang, qui ne portaient qu’un corselet en plaques de cuir lacées dans le dos et protégeant uniquement leur buste
Quand ensuite, au milieu du XIVe siècle, les tactiques militaires accorderont plus d’importance à l’infanterie et aux combats à pieds lors des guerre civiles dans les montagnes du centre du pays…
…les armures seront modifiées pour permettre une plus grande mobilité…
… Dômaru ou Haramaki, l’armure sans décoration des simples soldats, plus souple, bien ajustée et d’une seule pièce sera finalement adoptée par tous les samurai…
…cette armure perfectionnée avec ajout d’épaulières protectrices, de casque et autres éléments aux décors raffinés sera celle en vigueur jusqu’à la fin de l’époque Muromachi au XVe siècle
Procédé pour s’équiper de son armure à tester en cas d’urgence uniquement ! Où l’humour jamais absent même en temps de guerre (illustrations ne figurant pas dans l’exposition)
A l’époque Momoyama, au milieu du XVIe siècle, de nouvelles guerres civiles ravageant le pays, l’introduction des armes à feu et des armures occidentales par les Portugais contribuera encore à modifier les techniques d’armement en s’inspirant des modèles européens
Ce fut l’origine de nouvelles transformations de l’armement, plastrons et dos en fer martelé remplacèrent les armures traditionnelles faites de lamelles de fer, des protections pour les membres furent ajoutées pour obtenir une armure complète dénommée Tôsei gusoku
La structure des armures et l’inventivité des formes bénéficieront de l’important développement de la forge des métaux
Les armures de cette époque furent simplifiées, la structure de la cuirasse d’un seul tenant obtint les faveurs des guerriers…
…mais la laque dorée et la finesse des détails sont le reflet d’une nouvelle esthétique
Dans l’armée où l’infanterie jouera un rôle de plus en plus prédominant, la nouvelle armure Tôsei gusoku faite d’une seule pièce offrira une plus grande mobilité et une meilleure protection contre les lances des fantassins, c’est le type d’armure qui persistera jusqu’à la fin de l’époque Edo au XIXe siècle
Quand l’unification du pays sera réalisée dans une paix relative, les guerres privées interdites sous le gouvernement du dernier grand chef de guerre Togukawa Ieyasu,…
…les armures sans plus d’utilité sur le champ de bataille cesseront d’être fonctionnelles et deviendront uniquement des objets décoratifs de parade …
…que l’imagination des forgerons, des fondeurs et des ciseleurs couvriront de décors les plus raffinés
Lors des processions cérémonielles, les Daimyô, les grands feudataires, exhibaient leurs armures comme signe extérieur de pouvoir et de richesse
Au milieu du XVIIe siècle le Japon pratiqua une sévère politique d’isolement, en l’absence de toute influence étrangère et du nouvel intérêt et des études pour la culture japonaise ancienne, les armuriers s’inspireront des styles médiévaux redevenus à la mode et la fabrication des nouvelles armures fera l’objet du plus grand raffinement artistique
Pendant l’époque Edo, du XVIIe à la fin du XIXe siècle, l’aristocratie militaire commandait ses armures auprès d’un des neuf principaux centres d’armuriers
Ces centres formaient des générations d’artisans qui se transmettaient le métier de père en fils…
…les forgerons fabriquaient toutes les pièces en métal, les laqueurs revêtaient le fer et le cuir de laque pour les consolider et les protéger des intempéries…
… les dinandiers travaillaient les métaux précieux comme l’or, l’argent et le cuivre pour les nombreux éléments décoratifs qui enrichissaient l’armure
Ces artisans signaient souvent leurs œuvres afin d’en garantir la plus haute qualité
Une armure représentait l’effort collectif de plusieurs artisans, chacun ayant sa spécialité, les signatures précisaient que l’artisan du métal était différent de celui des éléments décoratifs par exemple
En plus du fer, de la laque, du cuir et des métaux précieux, des matières diverses comme des plumes, des poils et fourrure d’animaux, des fibres végétales étaient ajoutés pour personnaliser l’armure
A la fin du XIXe siècle, le pouvoir impérial de Meiji fut rétabli, le pays renonça à sa politique d’isolement et l’armement traditionnel disparu laissant la place aux équipements modernes à l’image de l’Occident
Mon prochain article sera sur les casques, pour beaucoup très surprenants, dont la technique évolua au même rythme que les armures
Je me suis servie, pour rédiger cet article des précisions de mon époux, de plusieurs livres anciens de ma bibliothèque, de mes visites d’expositions, ayant la chance à Paris que le Japon soit à la mode depuis de nombreuses années !
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Paris – Exposition Samurai – Musée du Quai Branly – autres articles :
I – Les armures
II – Les casques et les masques de guerre
III – Les textiles
On ne peut qu’être épaté par tant de savoir faire, de raffinement dans le luxe, d’imagination aussi.Ces guerriers devaient ressembler à d’énormes insectes d’une monstrueuse beauté.Mais pour finir ce n’étaient que de pauvres humains de chair et d’os et leur carapace était destinée à se couvrir de leur sang.Ah, je ne m’habituerai jamais à la folie des hommes!
J’avoue que la métaphore des insectes me laisse perplexe, car moi je n’y voyais rien de tel, mais à la réflexion….
Si je suis extrêmement sensible à l’art et à la technique déployés dans ces armures, je suis tout autant gênée par ce que cet armement sous-entend
Je n’ai pas, par cet article, voulu faire un panégyrique de l’art de la guerre mais juste relaté que cela a existé…
L’admiration est souvent ambivalente